Dans l'article précédent, nous avons abordé un peu la vision du monde qui se dégageait du rapport d'orientation proposé par la confédération. Les propositions en terme de modalités d'action et de structuration découlent alors assez logiquement.
La deuxième partie du rapport porte finalement sur les luttes et la manière dont la CGT entend agir pour changer les choses. On l’aura compris, il ne s’agit pas là de « rapport de force » ou d’imposer quoi que ce soit. Il s’agit de peser dans le sens du « bon choix ».
Nous serons plus rapides. Dans cette partie, la confédération a décidé de marquer les camps et les positions. C’est donc sans nuances qu’elle affirme, nettement et sans bavure :
- Que la tactique des journées d’action était la bonne ;
- Que les actions le week-end sont une bonne chose ;
- Que le syndicalisme rassemblé est la seule issue, et que la démarche est validé par la réalité ;
- Que l’essentiel de l’activité syndicale se fait dans la négociation à tous les échelons, qu’il faut allier conquêtes électorales et démarche de rassemblement ;
- Que la loi sur la représentativité est une bonne chose et qu’il faut s’appuyer dessus pour élargir la représentativité de la CGT et sa présence partout (II-80), c'est-à-dire non plus la lutte des classes, mais la table des négociations, la validité des accords collectifs et le représentativité nationale, une audience électorale renforcée.
Au moins les choses sont claires, et personne ne pourra dire qu’il ne savait pas.
Autant la première partie relève d’une analyse économique qu’on peut juger difficile (mais l’économie politique est le socle de l’action du syndicalisme de classe, quoiqu’on en dise !), autant cette deuxième partie est limpide et sans ambigüités. Evidemment, bien sûr, non amendable…
Enfin, la troisième partie porte sur l’évolution des structures de la CGT, vieux chantier qui avance trop lentement au gré de la Confédération.
Nous avons déjà dit que nous ne sommes pas de ceux qui voulons rester arcboutés sur le passé ; que nous constatons l’évolution du salariat, la mobilité, la précarité, la nécessité de s’adapter à un salariat qui change.
Pour la Confédération, c’est une évolution normale à laquelle il faut s’adapter. Pour nous, c’est la volonté d’engager dans la lutte des classes des secteurs laissés en marge par les attaques du capital, et abandonnés dans le passé par le syndicalisme corporatiste qui a encore bien des défenseurs dans notre syndicat. Ainsi, si la Conf’ ne peut que constater la mobilisation dans la lutte des sous-traitants de l’automobile, elle se tait sur le silence des structures lors du dépeçage des grands groupes pour créer ces mêmes entreprises dans les années 70…
Il est assez difficile de mesurer où veut aller la Conf ‘ sur la transformation des structures. Comme d’habitude elle avance masquée, sans annoncer son projet, petite touche par petite touche. On peut noter les pistes suivantes :
- Faire un syndicalisme d’adhérents directs et non plus un syndicalisme de militants et de syndicats.
- Pourtant, ce n’est pas la disparition des syndicats qui est proposée, puisque tout syndiqué doit être rattaché à un syndicat. Plus fondamentalement, c’est le rôle du syndicat qui change de nature (III-69) : syndicat de négociation représentatif, et non plus structure d’organisation de la résistance et de la lutte. Pour les camarades qui ne nous croient pas, lisez donc le texte original ! Il est donc noté qu’il « y a tout lieu de s’interroger sur le périmètre de chacun des syndicats ». C’est un vrai débat déjà en cours : par exemple, certaines fédérations comme la FAPT sont organisées exclusivement sur la base de syndicats départementaux, et dans les entreprises ce ne sont que des sections syndicales… A noter, la proposition d’intégration des sous-traitants au syndicat d’entreprise.
-
Création d’une « commission d’affiliation à la CGT ». Compte tenu des problèmes récurrents et qui ne
peuvent qu’augmenter (Dalkia, Forclum, Cegelec, UL de Douai, Renault etc.) c’est une véritable Inquisition qui est créée dans la Confédération ! Définition de l'Inquisition, adaptée de
celle donnée par Wikipedia : "L’Inquisition est une juridiction spécialisée (un tribunal), créée par le CCN et relevant des statuts, de la charte de la vie syndicale et de la charte des élus et mandatés,
chargée d'émettre un jugement sur le caractère orthodoxe ou non (par rapport au dogme confédéral) des cas qui lui sont soumis. L'Inquisition est une juridiction d'exception, établie pour
représenter l'autorité judiciaire du bureau confédéral sur un syndicat donné, quand le fonctionnement normal des structures s'avère inadapté."
Ce n'est pas une plaisanterie, c'est exactement cela qui se met en place. - Concernant l’UGICT, le texte est très prudent (III-47), mais tout le monde sait que ce qui est en jeu, c’est sa disparition. Double raison, nous l’avons déjà dit : les ICT ont pris le dessus dans la Conf’ sur les aristocrates ouvriers du passé et il n’y a plus besoin de structure spécifique, et en plus l’UGICT se révèle assez souvent rétive aux nouvelles orientations et propositions confédérales…
- Refus de la création de syndicats particuliers : sans-papiers, privés d’emplois ou précaires. (III-62). L’argument sur les privés d’emplois vaut son pesant de cacahuètes, au regard de la Sécurité Sociale Professionnelle : « il est important que chaque privé d’emploi puisse être syndiqué dans un syndicat de la CGT, sans que la transition entre deux emplois signifie une rupture de sa syndicalisation et de sa participation à la vie syndicale ».
- Renforcer l’interprofessionnel au détriment du professionnel
- Dans cette perspective, l’avenir des fédérations est en question. Déjà les manœuvres sont en cours (Construction et Bois, puis avec le Verre ensuite), mais on peut imaginer de futurs regroupements. Le texte réaffirme (III-106) « qu’il faut rendre effectifs des espaces de travail sur les enjeux revendicatifs communs », espaces de travail vous avez bien lu, pas luttes !!!
-
Concernant le territorial, il est faux d’affirmer selon nous que la volonté de la Conf’ est la disparition des
UL. Ce qu’il y a c’est la volonté de restructurer la confédération sur la base des bassins d’emploi, et zones homogènes « objets d’enjeux structurants » (III-144) pour peser sur
les choix économiques en termes d’emploi, de transports, de logement et de formation. Dans la mesure où il s’agit de transformer la CGT en « force de proposition » locale [c'est à dire aux
négociations institutionnelles], il faut adapter les structures aux besoins. Là, ce sera un syndicat de site (Saint-Nazaire), sur telle petite vallée du Jura ou de Haute Normandie ce sera une
UL, ailleurs ce sera l’UD voire même la région si nécessaire. Ce sera au cas par cas, selon la structuration du capital.
Et à lire le texte, il semble bien que l’objectif de la Conf soit de renforcer ce type de structures, au détriment du syndicat d’entreprise (lui-même transformé) – « l’entreprise est devenue une entité trop instable pour y assurer, à elle seule, la relation permanente entre la CGT et les salariés » (III-141) - ou professionnel (en voie de disparition). « C’est pourquoi le congrès considère qu’il convient de hausser et redéfinir notre activité CGT dans les territoires » (III-147)
Pour conclure brièvement.
Le 49ème Congrès est encore un congrès de transition. Les positions sont de plus en plus tranchées, il y a la volonté affichée d’isoler tous les opposants, mais c’est le 50ème Congrès qui va être un moment décisif, à la fois pour le symbole et pour les transformations à venir.
Ce texte d’orientation proposé est inamendable, tant il a une logique structurée autour du syndicalisme d’accompagnement, et il est vain de chercher à en améliorer ici ou là une virgule : quelque part nous ferions le jeu de la direction confédérale.
Ce texte doit être combattu, « classe contre classe », au sein même de la CGT. Nous devons le lire, l’étudier, l’analyser à fond (et cet article est une première brique). Nous devons le faire lire (car la très grande majorité des camarades ne jugeront pas utile de le faire), le combattre pied à pied, en démasquer la logique.
Après, il faudra proposer, sortir du bois, afficher un point de vue. Se retrouver avec le maximum de syndicats sur une base minimum, mais suffisante, pour afficher notre opposition.
Nous avons peu de temps, mais il n’est pas trop tard.