Poursuivons notre petit examen des "choses dites" autour de la crise et des licenciements...
Cet article vient donc à la suite du précédent.
3) « Droit pour le CE de suspendre la décision de licenciement afin de se donner le temps d’examiner toutes les solutions alternatives avec la direction, la puissance publique et d’éventuels repreneurs »
C’est la position de la Confédération. Questions : et s’il n’y a pas de solution alternative ? Et si la boîte est coulée par un concurrent plus performant ? Et s’il n’y a pas de repreneur ? Et comment le CE il ferait mieux que le capital en général, meilleur gestionnaire peut-être ?
Il n’est pas exclu que des décisions soient prises à la va-vite. Mais la question qui se pose n’est pas se donner du temps, mais de combattre les licenciements.
Revendiquer des « droits supplémentaires » pour le CE n’apporte rien que de la confusion. C’est imaginer que les bureaucrates syndicaux, les experts en tous genres vont savoir trouver la recette magique pour une solution dans le cadre du marché capitaliste.
Imaginons la procédure. Première annonce de licenciements. Le CE dit « Halte là, on s’en occupe avec nos experts », pas besoin de se mobiliser. Et puis, au mieux, le CE produit un « contre-plan industriel » (voir l'article précédent de ce blog). Et puis en fait, les lois du capital sont plus fortes que la volonté des dirigeants réformistes, voilà les licenciements confirmés, et les ouvriers démobilisés, convaincus quelque part « qu’on ne peut pas faire autrement ». Bien joué, Callaghan, une restructuration passée en douceur.
Non, le CE ne peut rien faire, n’a aucun pouvoir, et tous ceux qui affirment le contraire sont des menteurs. Tout au plus peut-il multiplier les procédures pour entrave, non information, pour gagner du temps et favoriser la mobilisation. C’est son rôle, cela peut être utile, mais sans illusion.
Mais la procédure gagnante, c’est la lutte des classes, la mobilisation ouvrière, la détermination et la lutte jusqu’au bout. Et on est encore très loin du niveau atteint dans les décennies passées, avec les menaces de Cellatex ou de MetalEurope, la lutte des sidérurgistes ou les séquestrations des années 70, les occupations musclées et les affrontements avec les CRS.
Voilà l’efficacité, voilà un combat certes difficile, certes sans illusion, mais du coup à la fois plus lucide et plus efficace car on ne se laisse pas balader dans des impasses !
4) « Interdiction des licenciements »
Mot d’ordre développé par Lutte Ouvrière, le NPA, le POI (ex-PT) qui en fait même une campagne (voir l'affiche ci-contre)
C’est un mot d’ordre à double face :
- D’un côté, il a un intérêt, car il met en avant la question politique face à une exigence vitale. Oui, l’emploi, l’industrie, les licenciements, c’est une question politique, de choix de société, qui engage la vie de centaines de milliers d'ouvriers. Et exiger l’interdiction des licenciements, c’est poser la question de cette manière, mettre le gouvernement, quartier général de nos exploiteurs (Sarkozy représentant de Parisot...). Contrairement à tous les réformistes qui soient nient le rôle de l’Etat (qui ne pourrait rien faire face aux lois de l’économie), soit qui jugent que quand même interdire les licenciements c’est exagérer, non, vous ne croyez pas, pas très "réaliste" tout ça ?
- - D’un autre côté, c’est un souci, parce qu’un tel mot d'ordre laisse croire qu’une loi pourrait à elle seule régler la question du capitalisme, escamoter d’un seul coup toutes les règles objectives, la guerre économique, le marché etc. Laisse croire que l'Etat pourrait se mettre en contradiction avec le Capital. Cela aussi c’est une illusion, et grave. En imaginant même qu'on puisse interdire les licenciements sans toucher au reste (pour autant que cela soit possible…), c’est évidemment s’engager dans une catastrophe, car les capitalistes ne resteront pas inactifs et pousseront la barre encore plus haut, jusqu'à l'hypothèse du coup d'état, et nous ne devons pas le cacher - cela s'est posé en 68. Cela dit, il n’est pas exclu qu’une lutte d’ensemble sur la question des licenciements produise, sous forme de compromis, un durcissement des procédures, une forme d’interdiction. Ce serait évidemment positif, le fruit d'un rapport de forces énorme, gage de la suite, mais rien à voir avec un mot d’ordre lancé comme cela !
- En résumé, plus d’illusions que de compréhensions. Aussi nous ne l’avançons pas, et préférons le mot d’ordre avancé depuis des années par les secteurs les plus radicaux, « Aucun licenciement », ou « Zéro licenciement ! »
5) « Des investissements pour préserver les emplois »
C’est ce qui est avancé à Ford Blanquefort, ou à Goodyear Amiens. Là encore, un mot d’ordre à double face.
D’une part, il est évident qu’un capitaliste qui envisage de fermer, ou de délocaliser, cesse d’investir. Logique : inutile de dépenser quand on sait qu’on va arrêter. Dans la guerre économique, un capitaliste particulier ne peut tenir son rang, son marché (et donc ses profits – c’est là l’essentiel) qu’en investissant, qu’en modernisant, qu’en faisant de la recherche. Pour la bonne et simple raisons que les autres font pareil et que s’il ne suit pas, il va être croqué tout cru. Quand les ouvriers, qui sont au cœur de la production et voient donc tout, s’aperçoivent que les investissements ne suivent plus, ils sont en droit de se poser des questions, et de les poser au patron. Aussi, quand à Goodyear ils voient que plus aucun investissement n’est fait et que tout part à l’Est, ils sont en droit de se dire que la perspective à terme c’est la fermeture.
Cela dit, l’envers de la médaille, c’est de laisser croire qu’un capitalisme « bien géré » préserve les emplois. Que s’il y a investissement, c’est l’avenir assuré. C’est absolument FAUX. On ne compte plus les exemples d’entreprises ou d’ateliers qui ferment avec des machines neuves encore emballées, ou alors qu’elles viennent de moderniser toute une production. Pour une bonne et simple raison : le capitalisme est aveugle sur l’avenir, et fonctionne sur un pari, un coup de poker permanent. J’investis à un moment donné, en faisant le pari que je récupérerai mon investissement plus tard avec la production qu’elle me fournira. Mais le capitaliste ne sait pas ce que fait le concurrent. Ne connaît pas les besoins de la société. Ne peut pas prévoir la situation générale de l’économie dans les mois et les années à venir, quand il commencera à vendre (voir la surprise générale du krach financier et ses conséquences en cascades, le tout parti, faut-il le rappeler, d’un secteur spécifique, le logement)
Donc, il peut parfaitement se trouver qu’entre le moment de la décision d’investissement et sa mise en œuvre, la situation ait complètement changé, qu’une nouvelle possibilité plus intéressante soit apparue (par exemple la vente à un concurrent) ou qu'au contraire le projet ne soit plus rentable dans de nouvelles conditions. Et plouf, c’est mort. La rotation du capital est de plus en plus rapide, et les visions à long terme de plus en plus difficile, pour les capitalistes, du fait des règles du jeu.
Et comme les investissements pour franchir un saut technologique (et donc gagner en productivité) sont de plus en plus lourds, il apparaît un décalage dans le temps, quels que soient les moyens modernes mis en œuvre pour raccourcir les délais (informatique, communications…)
La bataille des investissements peut être menée par les syndicalistes de classe, mais en étant particulièrement clairs : c’est au fond la bataille de l’emploi qui est en jeu et nous n’avons aucune illusion à avoir sur le fonctionnement du capitalisme. Voilà ce qu’on peut retenir, sachant que les risques de dérapages sont très rapides !
Voilà, on arrête là pour aujourd'hui.
Nous poursuivrons avec d'autres exemples, et camarades lectrices et lecteurs de toutes les entreprises menacés de licenciements, n'hésitez pas à réagir !