Fin décembre, nous publiions un article sur la privatisation de EdF, dont nous annoncions la suite.
Six mois plus tard (il n'est jamais trop tard pour bien faire...), la voici enfin ! Le sujet revient d'actualité, d'une part autour de la fusion GdF/Suez, d'autre part parce que dans l'opposition intérieure à la CGT, et en avançant que c'est une démarcation très radicale, certains mettent en avant la re-nationalisation des entreprises privatisées. Continuons donc le débat !
La Gauche est contre les privatisations : FAUX
Un petit espoir, face à la dégradation généralisée des services publics : le retour de la Gauche au pouvoir en 2007 ?
Vous rêvez ! Auriez-vous déjà oublié ce qu'était la "Gauche plurielle" de Jospin, comment elle a battu des records en matière de privatisations ? Elle a fait plus en trois ans que les gouvernements de Balladur et Juppé réunis de 1993 à 1997. Et surtout, n'oubliez pas ! - avec la participation active du PCF. Jean-Claude Gayssot, par exemple, organisant la privatisation d'Air France. Et avec la "solidarité gouvernementale" de Marie George Buffet ? la populaire Marie George étant alors ministre.
Il est vrai que la Gauche, à ses débuts, en 1981-82 - il y a un quart de siècle ! -, a procédé à une vague historique de nationalisations. Ce fut pour se heurter très rapidement aux "contraintes économiques", au nécessaire respect des "grands équilibres" :
"A partir de 1984, le discours politique change. Laurent Fabius, premier ministre, proclame que la mission première des entreprises publiques est de revenir aux bénéfices. Alléger le budget de l'Etat passe avant le souci du chômage. Des suppressions massives d'emplois ont lieu dans les charbonnages (4000), les chantiers navals (7000), la sidérurgie (20 000), sans parler de Creusot-Loire ou de Renault" (Le Monde, 19 novembre 1996).
Et vous seriez prêts à faire confiance à ce même PCF ou à ce même Fabius aujourd'hui pour freiner la dégradation ? Vous n'avez pas compris que c'est la machine capitaliste ? les "contraintes économiques" - qui dicte sa loi aux gouvernements, quels qu'ils soient, et non le contraire. Pour arrêter la dégradation, il faut arrêter le système ! Il faut changer de système économique. Et pas de "politique". Encore moins de gouvernement.
Tout ce qui reste d'un peu spécifique à la Gauche, c'est une certaine hypocrisie particulière, un certain discours "social". Remplacer les plans sociaux par des "plans de sauvegarde de l'emploi". Et les privatisations par des "ouvertures du capital". Vous avez droit d'aimer les berceuses... mais on ne peut pas se contenter de dormir dans la vie !
Privatisations : des chiffres (En milliards d'euros) :
- 1986-88, gouvernement Chirac : 16
- 1993-97, gvts Balladur et Juppé : 21
- 1997-00, gouvernement Jospin : 37
Ils privatisent parce qu'ils veulent toujours plus de profits : VRAI.
Il y a des périodes - après une guerre mondiale - ou des secteurs (le nucléaire, par exemple) - où les capitalistes ne peuvent faire les investissements nécessaires que collectivement, c'est-à-dire par le biais de leur "quartier général", l'Etat. Mais, Trente Glorieuses plus tard, l'économie est reconstruite, ou la technique nucléaire est opérationnelle.
D'autre part, pour tourner, la machine capitaliste ne peut faire autrement que s'élargir. Au capital initial doit s'ajouter le profit, qui gonfle d'autant le capital initial. Bref, grandir ou mourir, c'est une loi de la concurrence. Ca nous donne le culte de la croissance, les fusions-acquisitions, les investissements directs à l'étranger (IDE), en un mot un mouvement perpétuel dans lequel le Capital se comporte comme un ogre insatiable. Il lui faut en permanence de la chair fraîche. Des victimes, hommes et Nature. Le secteur public ou nationalisé fait partie des cibles. Il est déjà vampirisé par le biais de la dette, y compris celle de la Sécu. Mais un ogre, par définition, est insatiable...
Un changement de propriétaire, avons-nous dit (Partisan n° 199), s'accompagne toujours de tentatives de supprimer des emplois, des avantages acquis, etc. Mais attention, "Non aux privatisations-dégradations" ne veut pas dire "Oui à l'Etat" qui lui-même procède largement et ouvertement au blocage des salaires, aux suppressions d'emplois et à la précarisation. C'est pourquoi nous avons ajouté "dégradations". Insistons, répétons : l'État, le « public » n'est garant de rien. Nous sommes contre les privatisations-dégradations en unité avec les travailleurs du public, comme du privé, en lutte contre toutes les attaques. "Tous ensemble, pour l'emploi, les salaires !"
Les travailleurs du secteur public défendent leurs privilèges plutôt que les intérêts des usagers : FAUX.
Ne confondez pas la masse des ouvriers avec la petite-bourgeoisie et l'aristocratie ouvrière. Et les privilèges avec les avantages acquis.
Il est vrai que les petits privilèges (privilèges par rapport à la masse des ouvriers, petits par rapport à ceux de la grande bourgeoisie) ont été, c'est logique, particulièrement distribués dans les secteurs stratégiques, pour acheter la paix sociale. Il est vrai aussi que ces petits-bourgeois et aristocrates ouvriers sont largement présents dans les structures et les directions syndicales. Inversement, les syndicats sont particulièrement bien implantés dans le secteur public. Les aristocrates et bureaucrates réussissent encore (mais de moins en moins) à faire partager aux simples ouvriers leur idéologie nationaliste, leur politique réformiste, leur corporatisme syndical. Et "leur seule optique est la défense de leurs privilèges" (Plate-forme politique de VP-Partisan, parag. 342).
Mais vous avez déjà entendu parler des "Robins des bois". C'est une association qui regroupent des agents EDF et des chômeurs. C'est exactement le contraire du corporatisme et de la défense de privilèges ! Minoritaire, direz-vous. Alors, est-ce que vous condamnez une lutte, quelle qu'elle soit, parce que les syndicalistes révolutionnaires y sont minoritaires ?
Et que faites-vous de cet esprit "service du public", que la bourgeoisie sait exploiter à son profit, mais qui anime tant de fonctionnaires ou assimilés, pourtant bien mal payés et "reconnus" ?
Prenez la question du statut de la fonction publique et du développement rampant de la privatisation que constituent les emplois précaires. Adoptez nos mots-d'ordre (Partisan n° 111, page 15) : "Embauche de tous les précaires, Ouverture de la fonction publique aux étrangers, Réintégration de tous les sous-traitants !". Et vous verrez qu'il y a, dans le secteur public comme ailleurs, une lutte entre deux voies. Celle du réformisme et de la défense des privilèges, et celle du syndicalisme révolutionnaire et de la solidarité de lutte des travailleurs.
Le programme communiste passe tout de même par l'étatisation : VRAI et FAUX
On lit dans "Le Manifeste" de Karl Marx : "Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tout capital, pour centraliser tous les moyens de production entre les mains de l'Etat..." Etatisation, nationalisation, collectivisation des moyens de production font bien partie de l'essentiel du programme communiste. Mais lisons bien la suite de la phrase : "entre les mains de l'Etat, c'est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante".
Car il y a Etat et Etat. Il y a donc étatisation et étatisation. A savoir : nationalisations capitalistes de l'Etat bourgeois ET nationalisations socialistes de l'Etat ouvrier. Le "secteur public" actuel est même présenté par Marx et Engels comme le summum du capitalisme : "L'Etat moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste, l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble" (Engels, Anti-Duhring, page 315).
Les communistes marxistes-léninistes se battent donc CONTRE les privatisations parce que ce sont autant d'attaques contre les travailleurs, mais ils ne se battent pas POUR des nationalisations aujourd'hui, avec un Etat capitaliste. Ca ne veut pas dire que nous sommes contre tout, et pour rien, nous sommes POUR un autre Etat !
Deuxième remarque, donc : l'Etat prolétarien ne ressemble pas à l'Etat bourgeois. Lénine parle d'un "demi-Etat" (L'Etat et la révolution, ch.1, paragr.4). Le prolétariat ne s'empare pas de l'Etat bourgeois, il s'empare du pouvoir, ce qui n'est pas la même chose. L'Etat bourgeois, il le détruit et le remplace par un Etat soviétique, c'est-à-dire un appareil de domination dont les organes de base sont des soviets, des comités de lutte des travailleurs. Un régime peut se dire soviétique, socialiste ou communiste ; si les travailleurs n'ont pas la possibilité de se mobiliser politiquement, dans des soviets vivants, des syndicats démocratiques, un parti de classe indépendant, si tout ce qu'on leur demande, c'est de produire sous les ordres d'une minorité privilégiée, alors l'Etat de ce régime est en réalité capitaliste, et il s'agit d'un capitalisme d'Etat.
Troisième et dernière remarque. La propriété collective d'Etat est, à ses débuts, un pouvoir encore assez indirect et formel. Le pouvoir économique réel, c'est la capacité de gérer. Or il faut gérer toute l'économie, et même l'économie mondiale ! En élargissant progressivement leurs capacités de gérer, les travailleurs suppriment réellement les différences de classes. Ca se fera, mais PEU A PEU, dit Marx (toujours dans la même page du Manifeste) : "Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher PEU A PEU à la bourgeoisie tout capital..."
En résumé, par conséquent : OUI MAIS ! Etatisation, oui, mais pas avec un Etat bourgeois.