On ne compte plus les réactions de dégoût, d'interrogation, de critique sur la cadence carrément ramollie des journées d'action menées par l'intersyndicale. Et nous prendrons même pas la peine de reproduire ici le communiqué appelant à l'urgence... de se revoir ! D'autant que la comparaison avec la Guadeloupe à côté fait désordre... Et que Sarko comme le Medef durcissent le ton, ne veulent absolument rien lâcher, tout en continuant à restructurer à tour de bras le monde, l'économie, nos vies quoi, à leur image, pour leurs intérêts
"Il faut la grève générale" - motion votée à tour de bras par des AG vengeresses, mais sans lendemain.
"Les syndicats ont la pétoche que çà pète".
"Il faut forcer les directions syndicales à lancer la grève"
"Il faut une nouvelle date de grève et de manifestations le plus vite possible" nous dit le NPA
"Il ne faudrait pas diriger la colère des travailleurs contre Sarkozy sur les directions syndicales mais plutôt s’appuyer sur cette colère pour être en mesure de déborder ces directions si c’est nécessaire."
Autour de nous (et sur ce blog, voir les commentaires à l'article précédent...) c'est le grand déballage. Mais sans réponse véritable pour comprendre où nous en sommes, pourquoi, justement, il n'y a pas de nouvelle grève...
Alors, c'est quoi ces syndicats ? Pourquoi vont-ils contre le bon sens de n'importe quel travailleur en colère, de n'importe quel syndicaliste un tout petit peu combatif ?
Alors, il faut remettre les pendules à l'heure et arrêter de rêver. Désolé pour la longueur de cet article, une fois n'est pas coutume, mais il faut prendre le temps de réfléchir...
Nous allons commencer par la CFDT et son "recentrage" de la fin des années 70. Pour cette confédération, la lutte des classes n'existe pas, il ne s'agit plus pour le syndicalisme que d'agir en groupe de pression pour limiter les dégâts d'un capitalisme qui ne dit plus son nom, plutôt d'une société qu'il faut rendre "harmonieuse", où patrons et salariés ont chacun une légitimité, le droit d'exister ensemble. En ce sens, la priorité est donnée à la discussion réciproque où l'on tente d'arriver à un consensus, à la négociation, à la confrontation d'arguments et d'expertises. La grève, la mobilisation ne sont que le moyen ultime d'avancer pour, en quelque sorte, "mettre un coup de pression" sur la partie adverse qui décidémment exagère trop.
Bon, c'est un résumé rapide, mais chaque lecteur de ce blog complètera. Si l'on pousse le raisonnement, c'est un syndicalisme évidemment de cogestion, évidemment de collaboration de classe, de partenariat privilégié, qui pourrait aller jusqu'à un syndicalisme de type corporatiste mussolinien dans une phase de crise aigüe : resserons les rangs tous ensemble pour sauver la société ( - le capital...).
La CGT, historiquement et traditionnellement, ce n'était pas cela. C'était la voie de la lutte des classes, de la grève, du rapport de forces. Et c'est cette idée qui reste bien incrustée dans les consciences des militants les plus combatifs (pas besoin de s'étaler sur Chérèque, c'est clair !).
Le problème, ce qu'on a tendance à oublier, c'est que cette attitude était appuyée fondamentalement sur un projet politique alternatif, celui du PCF et de la gauche au pouvoir. La radicalité de la lutte servait donc, au fond, à préparer la venue d'un gouvernement réformiste de gauche. D'où l'enterrement de Mai 68, les trahisons des luttes à répétition etc...
Depuis, la gauche a géré le capitalisme, le PCF s'est évaporé, et il n'y a plus de projet politique alternatif et crédible. Car même le NPA ne propose finalement qu'un programme de luttes radicales...
Les directions de la CGT ont fait le bilan de cette évolution, et ont donc modifié la stratégie syndicale de la confédération, sans que cela soit pour autant clairement affiché.
Ils ont constaté l'absence de projet alternatif (réformiste, bien sûr) et se sont donc glissé dans la logique du partenariat privilégié, de la coopération conflictuelle avec le gouvernement Sarkozy/Fillon. Il faut dire que ce gouvernement a joué beaucoup plus subtilement que les précédents en reconnaissant le caractère incontournable des syndicats. D'où les rencontres immédiatement après l'élection de Sarkozy, d'où les négociations à répétition, d'où les Grenelle sur tous les sujets. Et les directions CGT, déjà bien intégrées à la cogestion, ayant déjà bien éliminé la lutte des classes jusqu'à éliminer la formule des textes de congrès, ont joué le jeu, qui leur paraît le seul jouable en l'absence de perspective politique réformiste alternative.
Depuis les années 80, prenant acte des transformations majeures intervenues dans la société (mondialisation et globalisation du capital, désindustrialisation partielle et tertiarisation des économies du centre, délocalisation de certaines activités vers la périphérie, destruction des collectifs de travail par la flexibilité...) les syndicats majoritaires ont fait le choix de se couler progressivement dans les institutions de la cogestion sociale. En France, le mouvement a été initié dès la fin des années 70 par une CFDT choisissant la politique de recentrage. Peu à peu, en essayant de surmonter leurs contradictions internes, FO et la CGT (cette dernière un peu plus laborieusement à cause de son histoire) sont en train de la rejoindre. Le projet se veut "moderne" et "réaliste". Il s'agit de transformer les organisations syndicales en groupes de pression combinant, dans un même mouvement dialectique, lobbying et partenariat afin d'obtenir ainsi reconnaissance et participation à des négociations institutionnalisées. Dans un contexte général de désyndicalisation, cette nouvelle forme de syndicalisme n'a plus besoin d'adhérents, elle a tout juste à mesurer sa légitimité à l'aune des élections professionnelles. Dans cette configuration, les mobilisations ne se construisent jamais dans une perspective d'affrontement, mais comme un petit capital que l'on gère avec prudence et parcimonie pour servir d'atout et maintenir la pression au moment des négociations. Celles-ci devant rester inscrites dans un cadre étroit, strictement délimité, où les discussions ne portent que sur les modalités d'application de "réformes" décidées par les gouvernements mais dont le principe ne sera jamais mis en débat. Dans cette partie où les rôles sont convenus, où la bienséance exige de ne jamais transgresser les bornes qui ont été fixées, gouvernements et patronat savent que quelle que soit l'ampleur d'une mobilisation, ces syndicats respectables ne choisiront jamais un affrontement direct qui risquerait de remettre en cause leurs quelques avantages (symboliques ou matériels) acquis.
Dans ces conditions, la situation de crise que nous vivons peut-elle provoquer une révision stratégique de ce syndicalisme là ? Non. À bien des égards, il est trop tard. Pour les plus avancés sur la voie du "partenariat social" un aggiornamento aussi brutal signifierait la perte brutale des "dividendes" que promet une participation loyale à la cogestion sociale. Pour les autres, la crainte de l'isolement et de la marginalisation, la volonté de maintenir l'unité quel qu'en soit le prix à payer, les inciteront à poursuivre leur dérive vers une intégration de plus en plus poussée, celle que, justement, réclament patronat et gouvernements. Est-ce là le signe d'une trahison des directions syndicales ? Même pas. Il s'agit plutôt d'un choix stratégique cohérent et pleinement assumé. Celui d'organisations qui considèrent que la lutte des classes s'est éteinte parce que, aujourd'hui, il n'y aurait plus de classes sociales à proprement parler et qui se résignent à ce que le capitalisme soit une sorte de "fin de l'histoire" dont il faudra s'accommoder. Pour ceux-là, l'avenir ne s'inscrit plus dans la perspective d'une transformation de la société mais il se dessine comme une sorte de partenariat permanent, "gagnant-gagnant" comme ils disent, dont l'objectif se limite à gommer les aspérités les plus rugueuses de l'organisation sociale.
Et alors, bien entendu, on redevient bien pote avec la CFDT (c'est le vrai sens du "syndicalisme rassemblé"), avec qui désormais on partage tout le fond de la stratégie : recherche d'un partenariat privilégié, coopération conflictuelle, la seule différence résidant dans la combattivité des militants de base. Mais là encore, les directions CGT savent parfaitement s'appuyer sur cette combattivité pour renforcer leur place dans la négociation. Il n'est pas question de grève générale, parce que ce n'est pas l'objet, tout simplement hors du champ de réflexion ! C'est exactement de que Michel Donnedu a développé dans une discussion au journal Le Monde récemment...
D'autant que chez ces militants combatifs, nous l'avons déjà dit, il n'y a pas encore de rupture avec les directions réformistes, il y a toujours l'attente quelque part d'une "vraie" initiative. Par encore compris que ce ne sont pas des amis qui se trompent, des militants trop mous qu'on pourrait radicaliser, mais de vrais ennemis qui se cachent sous le couvert du syndicalisme et de la défense usurpée des travailleurs. Il n'y a pas de trahison, pour la bonne et simple raison qu'ils défendent le projet qu'ils annoncent, et qui va être de plus en plus explicite au prochain congrès confédéral : la cogestion d'un capitalisme qui n'a pourtant plus aucun avenir.
Pour terminer par rapport aux commentaires de Yves et Lili, la question du syndicalisme n'est pas que celle abordée ici, du réformisme et des directions syndicales, de la construction d'une opposition syndicale. La question du syndicalisme c'est pour beaucoup celle de la première résistance collective aux exploiteurs, aux empiètements du capital. La nécessité obligatoire de se retrouver ensemble pour résister, et dans nombre d'entreprises, c'est incontournable. Cela dit, on peut aussi comprendre le point de vue des camarades, car le fond, ce n'est pas en tant que tel la question du syndicalisme, mais celle de la lutte des classes. Et là, c'est bien sûr à voir selon les contextes locaux...