Nous voilà dans la dernière période. Depuis des mois, le rouleau compresseur de l'appareil nous bassine avec les commissions communales, les collectifs départementaux, les tracts, les affiches, les logos. Là, ça y est on rentre dans le vif du sujet, les enveloppes commencent à arriver à domicile, et on rentre dans la phase "rouleau compresseur", affichages, peintures, tracts tous les jours, et même un site Internet.
Certains d'entre nous sont littéralement "gavés" par cette campagne, dans la mesure où elle efface toute autre activité, en particulier le combat de classe. Les sans-papiers qui poursuivent leur dur combat ? Disparus de la presse confédérale. Les Goodyear ? Absents. Le Mondial de l'automobile ? Un entrefilet. Les licenciements ? On verra plus tard. Les prud'hommes, les prud'hommes, les prud'hommes.
Mais peu de recul, peu d'interrogations, cette campagne semble d'évidence, même si elle gave, elle est reprise telle quelle par des opposants reconnus comme l'UL Douai qui a cherché à présenter une liste contre la liste départementale, ou le meeting du 29 novembre qui se conclut sur cette perspective...
Quelques rappels en forme de poil à gratter
Les prud'hommes sont apparus dès le Moyen-Age, mais se sont considérablement développés au 19ème siècle, lors de la révolution industrielle, comme structures de conciliation entre patrons et ouvriers. Ils ont par exemple été actifs pour les Canuts de Lyon, à la veille de la grande révolte de novembre 1831.
C'est à cette même époque (fin du 19ème) que les conseils de Prud'hommes deviennent paritaires, avec participation égale d'employeurs et de salariés, présidence alternée, dans une véritable optique de conciliation, d'apaisement et d'évitement des conflits. On sait par exemple qu'aujourd'hui encore, la toute première phase d'une procédure prud'homales est le "bureau de conciliation".
On ne saurait être mieux dire : il s'agit avant tout d'un contre-feu à la lutte des classes, pour tenter de calmer la colère ouvrière dans les négociations et le juridique.
Aujourd'hui, les prud'hommes sont intégrés dans le système judiciaire du pays, avec un rôle tout à fait précis : vérifier la validité juridique des contestations des salariés, sur la base de la loi. La Loi étant constituée d'une part par le Code du Travail et par les conventions collectives et accords d'entreprise.
Le Code du Travail, c'est l'ensemble des textes votés par le Parlement (les députés) et est donc changeant selon les périodes. Depuis trente ans, on ne cesse de voir régression sur régression dans ce texte, avec par exemple l'officialisation progressive de la précarité (intérim, CDD, apprentissage, contrats spéciaux etc.) mais aussi le travail de nuit pour les femmes (introduit par Martine Aubry) et bien d'autres attaques. Par ailleurs, le Code du Travail vient d'être ré-écrit, soi-disant pour simplification technique, mais on a découvert que derrière cette procédure qui aurait dû être formelle et juridique ont été introduites des subtilités encore en retrait par rapport au texte antérieur... Un inspecteur du travail explique ci-dessous tous les dangers de la ré-écriture :
Retour aux prud'hommes.
D'une part cette juridiction est paritaire, et on sait ce que pensent les patrons. D'autre part, les conseillers ne peuvent qu'appliquer la loi. C'est à dire que leur action est strictement encadrée dans le respect de la situation actuelle, des règles établies par la démocratie bourgeoisie au Parlement, par la place que lui laisse l'Etat capitaliste. Or, il faut bien conserver en tête les liens très étroits qui unissent le patronat industriel, commercial ou financier et le gouvernement, les responsables des Ministères et autres hauts fonctionnaires : il s'agit d'une seule classe, la bourgeoisie, qui fixe les règles économiques, politiques, sociales et juridiques pour assurer les meilleures conditions de l'exploitation et de l'extorsion de la plus-value. La "Loi", n'est donc pas du tout neutre, pas du tout là pour aider les travailleurs, mais le reflet à la fois du rapport de forces et des règles que la grande bourgeoisie se fixe pour faire "tourner la machine" à extraire le profit.
Les prud'hommes ne sont donc là que pour limiter les excès du capitalisme, empêcher les dérives les plus excessives de certains patrons qui par leur avidité sans borne mettent en danger le système en entier en provoquant la colère ouvrière. Mais ils n'ont absolument aucune prise sur l'exploitation, les règles du jeu du capitalisme, les fondements de cette société barbare.
Ces excès sont bien réels, en particulier dans les petites boîtes, et les Prud'hommes interviennent effectivement pour remettre les pendules à l'heure, et c'est la force du réformisme de savoir s'appuyer sur cette réalité. Tous les syndicats s'en gargarisent pour montrer combien c'est bien utile, que c'est l'intérêt des travailleurs qui est défendu.
Mais qui nous explique que les prud'hommes répandent aussi l'illusion d'un capitalisme plus juste, à visage humain ? Qui nous explique que le combat de classe est mille fois plus important que n'importe quelle procédure juridique forcément empêtrée dans la loi définie par les exploiteurs eux-mêmes ? Pourquoi dans certaines UL ou certains syndicats, le juridique prend-il une telle importance, au détriment de la lutte ? Pourquoi nous affirme-t-on sans broncher que les Prud'hommes sont le dernier outil au service des salariés, ce qui est bien sur faux ?
Il y a d'énormes illusions parmi les travailleurs sur les prud'hommes, sur leur rôle de réparation, de limiter les excès. Qui dit la vérité, qui explique qu'aucun jugement prud'homal ne change l'exploitation ? Pourtant, les conseillers prud'hommaux honnêtes connaissent parfaitement les limites de leur intervention et la réalité de leur rôle, ils en sont parfois très découragés...
Les prud'hommes ne peuvent régler que les excès d'une société que nous rejetons dans sa conception même. Nous refusons leur composition paritaire, leur intégration dans l'appareil juridique bourgeois. Nous combattons toutes les illusions qu'ils répandent sur la possibilité de conciliation, de réparation, de faire vivre un capitalisme moins injuste.
C'est dire que cette campagne électorale est pour nous des plus secondaires.
Quel est le sens de cette campagne pour les organisations syndicales ?
Tous les syndicats, et bien sûr la Conf' en tête font une campagne démesurée, ahurissante, avec une débauche de moyens et d'énergie. Leur objectif n'est en fait pas du tout de s'intéresser au combat de classe, à l'exploitation, mais au résultat électoral pour juger de leur influence, face aux concurrents.
Cela s'intègre parfaitement à la nouvelle loi sur la représentativité, à l'évolution vers un syndicalisme d'électeurs et de sondages, un syndicalisme d'opinion et pas un syndicalisme de lutte et de militants.
Il s'agit de valoriser le rôle syndical, non pas par rapport aux exploités, mais par rapport aux exploiteurs, au patronat et au gouvernement, pour se poser en partenaire privilégié, en négociateur incontournable, en expert à consulter d'un Grenelle à l'autre, d'un ministère à l'autre.
Pas besoin d'écrire un roman, tout le monde sent bien que c'est de cela qu'il s'agit. Thibault ne dit pas autre chose lors de la CE Confédérale, en commentant un sondage de l'IFOP...
Nous ne rentrerons pas dans ce jeu.
Nous participerons à cette campagne de manière minimaliste, histoire de ne pas se faire critiquer comme absents. Nous rappelerons toujours la vraie nature des prud'hommes.
Et nous ne raterons pas une occasion de profiter de l'occasion pour faire connaître notre blog, il y a par exemple en ce moment des panneaux électoraux un peu partout qui nous tendent les bras... pour coller des affichettes de pub !