Mercredi 17 Septembre 2008
[Mise à jour 28 mars 2013] Cet article est constamment très lu, sans doute à la fois la preuve que le travail posté se développe, et que les informations manquent. Suite à plusieurs sollicitations, nous rajoutons, en fin d'article, un exemple de calcul d'horaire équivalent pour un travailleur posté.
A la demande de plusieurs lecteurs du blog, nous détaillons ci-dessous ce qu'est le travail posté, essentiellement pour les feux
continus. En effet, autour de la lutte des
Goodyear, on discute beaucoup de 5 x 8, de 4 x 8 et beaucoup ne savent pas très bien ce qui se cache derrière ces termes
techniques.
Donc, petit cours pour comprendre tous les enjeux des luttes actuelles, à Goodyear et ailleurs, contre la remise en cause des 5 x 8 !
1) Le travail posté fonctionne par équipes successives pour recouvrir l’ensemble des 24
heures de la journée. Le plus souvent il y a trois postes de 8 heures qui se succèdent :
• « Le matin » – de 6 heures à 14 heures
• « L’après-midi » - de 14 heures à 22 heures
• « La nuit » - de 22 heures à 6 heures
• Et il y a les équipiers « de repos », qui un jour donné ne travaillent pas.
Parfois les horaires sont différents, par exemple décalés plus tôt le matin (5h – 13h), pour finir plus tôt l’après-midi et donc permettre (pour le patron) d’exclure le temps de repas du temps de
travail. Parfois aussi, les postes font 8h30 pour permettre un recouvrement entre postes et faciliter la transmission des consignes, c’est souvent le cas dans les industries de procédés. Cela
donne évidemment un temps de travail plus long en conséquence.
2) Quelles sont les différences d’un poste à l’autre ?
• Quand on est « du matin », c’est un poste fatigant, car on se lève très tôt, et le corps n’est pas habitué à aller dormir à 20h ou 21h… Parfois, les équipiers font une courte sieste pour
tenir le coup, au risque de pourrir leur après-midi, pourtant moment de vie sociale (familiale ou citoyenne).
• Quand on est « de l’après-midi » au contraire, il y a nettement moins de fatigue, on se lève quand on veut, et le travail ne finit pas trop tard dans la nuit. Par contre, inconvénient
majeur, il n’y a aucune vie sociale. On se lève tard, on traîne, et hop c’est l’heure de casser la croûte et de partir au boulot, et quand on rentre, vers 22h30/23h… tout est fini. Beaucoup
d’équipiers n’aiment pas ce poste pour cette raison, bien que la fatigue soit moindre.
• Quand on est « de nuit », il y a la vie sociale de l’après-midi, mais comme le matin la fatigue est grande. On rentre chez soi vers 7h/7h30 et on dort (souvent mal) au plus tard
jusque vers 13 heures.
3) Les « Trois Huit », 3 x 8
C’est un système d’équipes qui ne
tourne pas pendant le week-end. Le poste change chaque semaine, une semaine du matin (du lundi au vendredi), une semaine de l’après-midi, une semaine de nuit et ça recommence. On note que dans ce
cycle, la notion de week-end est variable : le week-end entre les semaines du matin et de l’après-midi (qui dure du vendredi 14h au lundi 14h) n’a rien à voir avec le week-end entre les semaines
de nuit et du matin (qui dure du samedi 6h avant le sommeil, au lundi 6h). C’est un cycle considéré comme « dur », du fait des cinq postes successifs identiques qui accumulent la fatigue. Il est
parfois associé à un régime spécial de week-end, comme les VSD, avec des postes de 10h successifs… Ainsi, à Goodyear, le cycle est de quatre jours en 3x8 (donc 32h/semaine), moins fatigant que les 5 jours habituels donc puisqu'il y a trois jours de repos, associé à 3 jours
en VSD.
4) Les « Quatre Huit », 4 x 8
C’était l’ancien système, généralisé dans toutes les industries dites à « feu continu ». Le
cycle tourne sur quatre équipes, selon le rythme suivant (le plus fréquent, mais il y a des variantes) : 2 jours du matin, 2
jours d’après-midi, 2 jours de nuit et pour finir 2 jours de repos avant de recommencer. Et ce cycle tourne toute l’année, week-end et jours fériés inclus. L’équivalent hebdomadaire de ce cycle
est de 42 heures par semaine pour des postes de 8h, 44,6 heures pour des postes de 8h30. C’est un cycle très dur et éreintant, où l’on passe son temps à travailler et à dormir pour récupérer,
sans parler du temps de transport, parfois important dans les régions (collectage en car depuis fort loin, voir la vidéo sur Peugeot Sochaux). C’est un cycle qui avait provoqué de nombreuses
luttes depuis des années dans les industries concernées, pour la « cinquième équipe ».
5) Les « Cinq Huit », 5 x 8
C’est le système mis en place avec les 35 heures, une des
rares avancées très positive. Le principe est le même que pour les 4 x 8, mais sur cinq équipes : 2 jours du matin, 2 jours de
l’après-midi, 2 jours de nuit, mais 4 jours de repos. L’équivalent hebdomadaire de ce cycle est de 33,6 heures pour des postes de
8h, 35,7 heures pour des postes de 8h30. La différence tout à fait fondamentale tient sur le repos : même si la première journée est « morte » du fait du travail de nuit et de la fatigue
accumulée, même si on recommence tôt le matin, il reste du temps pour vivre, la vie familiale et citoyenne. Par ailleurs, au niveau de la santé, il est établi que le régime des 5 x 8 est le
meilleur pour le corps, le moins destructeur (toutes choses égales par ailleurs !!! comparé aux autres cycles), dans la mesure où le corps n’a pas le temps de s’habituer à un horaire donné, et a
par ailleurs le temps suffisant pour se reposer lors de la pause.
6) Les enjeux politiques.
Il y a actuellement dans toutes les industries de procédé une vague de remise en cause des 5 x 8 pour revenir aux 4 x 8, sous prétexte de restructurations et de compétitivité. A la lecture de la
description ci-dessus, on comprend mieux les conséquences : diminution de 20% du personnel (4 équipes successives, au lieu de 5), et aggravation considérable des conditions de vie et de travail
des équipiers.
C’est évidemment la logique de la remise en cause des 35 heures (mais de manière moins directement visible, sauf pour les premiers concernés qui comprennent tout de suite !), et du « travailler
plus sinon c’est la porte ». Aussi, quand les ouvriers de Goodyear refusent le retour aux 4 x 8, on comprend que c’est un enjeu essentiel du combat de classe d’aujourd’hui !
Cela dit, on se rappelle que notre revendication fondamentale sur ce blog est la limitation du travail de
nuit, du travail posté au strict nécessaire social (santé, transports...), la suppression du travail à la chaîne, tous modes d'organisation du travail proprement inhumains, au sens propre du
terme, dans la mesure où ils détruisent non seulement physiquement le corps, mais aussi l'intelligence et le cerveau.
[Mise à jour 28 mars 2013]
Exemple de calcul d'un horaire équivalent
Un lecteur nous pose la question suivante :
"J'ai un horaire posté suivant : 7 jours du matin, 1 jour de repos, 7 jours d'après-midi, 1 jour de repos, 7 jours de nuit, 5 jours de repos, sur des postes de 8h. En plus, j'ai 12 JRTT pas an. Ca me fait quoi comme horaire hebdomadaire pour le calcul des heures sups ?"
On notera d'abord que c'est un cycle très dur, qui doit être éreintant. Mais allons-y, après à chacun d'adapter le calcul selon sa situation.
1) Le cycle total est de 28 jours (7 + 1 + 7 + 1 + 7 + 5)
2) Il y a 7 jours par semaine, cela représente donc 28/7 = 4 semaines
3) Sur ces 28 jours, il y a 21 jours travaillés, soit 21 * 8 = 168h de travail
4) Donc l'horaire hebdomadaire équivalent est de 168h/4 semaines = 42h/semaine.
C'est le premier calcul, basique, qui donne l'horaire hebdomadaire équivalent effectué. En travail posté, c'est lourd, très
lourd.
Ensuite, vient se rajouter l'affaire des JRTT, 12 par an.
5) Cela fait donc 12 * 8 = 96h de RTT par an.
6) Dans une année, il y a 365/7 = 52,14 semaines
7) On retire les cinq semaines de CP, reste 47,14 semaines travaillées.
8) Les JRTT représentent alors 96h/47,14 semaines = 2,04h/semaine.
L'horaire hebdomadaire de travail équivalent est donc au final de 42 - 2 = 40h/semaine. C'est la base horaire hebdomadaire utilisée
pour les calculs salariaux.