Le Congrès de la CGT du 93 est d'une certaine manière inoxydable. Un rituel reproduit de trois ans en trois ans, sans surprise, avec les quelques variantes selon la période...
- Un rapport d'activité lisse et flamboyant, style "Regardez tout ce qu'on a fait", rien qui dépasse, aucune contradiction. Rapport d'activité voté en direct sans aucun débat, extraordinaire, non ? Même sous Ceausescu on essayait de faire semblant. D'autant que le prétexte avancé (raccourcissement du Congrès du à la manif sur les retraites) était un mensonge éhonté, puisque dès les documents initiaux, imprimés avant l'annonce de la manif, le débat était déjà zappé. Le pire, c’est qu’il ne s’est trouvé dans l’assemblée que 9 camarades pour s’abstenir face à cette mascarade ! C’est dire qu’il reste à faire du chemin pour reconstruire un syndicalisme critique et autocritique, responsable et constructif, qui débatte et avance sur le bilan des succès et des échecs. De même, les documents mis au vote, pourtant élaborés depuis une quinzaine de jours, n’ont été diffusés que le jour même… Cool, comme style de travail, non ?
- Des débats en assemblée sans enjeux, sans issue et donc sans lendemains. Il y a ceux qui viennent pour raconter comment c'est bien d'être à la CGT et comment ils ont lutté. Bon, c'est bien, tout le monde applaudit, mais après ? Ca, c'est sur ça ne gêne personne. Il y a des débats généraux, parfois intéressants, mais qui escamotaient complètement le bilan concret de l’activité de l’UD, de la direction départementale. Rares ont été les camarades à poser la question de ce bilan concret. Un camarade a abordé la nécessité urgente du bilan des UL, proprement bâclée par le bureau et la CE lors de la préparation de la Conférence, mais silence radio en retour, aucune réponse, « cause toujours » : la direction fait le gros dos, attend que ça se passe. Et pourtant, il y aurait eu de quoi dire dans un département où il y a 23 UL, avec de grosses difficultés un peu partout.
- Il y a les révolutionnaires de service, qui arrivent chacun avec leur dada du jour : la LCR ? Tous ensemble vers la grève générale ! Lutte Ouvrière ? Les salaires, n'oubliez pas les salaires, et puis l'échelle mobile, l'indexation des salaires sur l'inflation ! (Revendication pourrie, soi dit en passant qui aboutit à valider les augmentations en pourcentage, à s'appuyer sur des indices gouvernementaux erronés et à brider la lutte sur les salaires sur cette revendication). Le Parti des Travailleurs ? Cette année, leur sujet c'était l'accord commun sur la représentativité... Interventions prévisibles, pas complètement sans intérêt sans doute, mais qui toutes étaient dans l'optique de transformer un congrès départemental en mini congrès confédéral, d’utiliser la tribune pour développer leurs propres positions sans vrai souci de construire l’UD sur une base syndicaliste de classe.
- Une élection sans surprise d'une direction autoproclamée et reconduite d'une fois sur l'autre, évidemment modifiée à la marge du fait des mesures d'âge (heureusement qu'il y a une limite de durée de fonctionnement pour la bureaucratie syndicale, c'est pour l'instant la seule limite qu'on lui connaît !). Enfin, sans surprise, manière de dire : après tri sélectif en « commission des candidatures » qui décide d’éliminer les militants de la LCR (Educ’Action), probablement un dégât collatéral de l’affrontement entre le PC et la LCR, NPA en vue… Bureau élu en CE conformément aux propositions du bureau précédent, réélection du secrétaire de l’UD, bref, cooptation renouvelée de l’ancienne direction dans la nouvelle, sans surprise, sans vague…
Mais il ne faut pas tracer une image trop sombre. Outre le fait qu’un tel congrès est un lieu de rencontre, de contacts, de discussions, il y a eu des sujets importants abordés au fil de ces trois jours, des débats soulevés à défaut d’être tranchés.
Un débat récurrent sur les sans-papiers qui était manifestement un sujet important pour une partie des congressistes. Preuve en a été la séance du vendredi matin où les camarades de OSP et Casa Nova ont eu droit à une véritable « standing ovation » du Congrès. Car la direction départementale se flatte de son soutien à ces camarades, lutte pourtant portée à bout de bras par une poignée de militants déterminés, mais quand même bien seuls dans le département, et que peu est fait pour généraliser et organiser collectivement la lutte (voir le sabotage de la mobilisation départementale du 14 mai à Saint-Ouen – ce qui a d’ailleurs été dit). Un camarade interpellait abruptement la salle : « j’aimerais croire qu’il y a consensus entre nous pour la régularisation des sans-papiers, mais malheureusement, je n’en suis pas sûr ».
Sur le projet d’appel du Congrès, intitulé « L’urgence est là », seule une petite phrase revendiquant « la régularisation des travailleurs sans-papiers » ne suscitait aucune réaction jusqu’à ce qu’un délégué demande la modification pour « la régularisation de tous les sans-papiers », comme repris dans la pétition de l'URIF. Evidemment, on était en plein dans le débat interne à la Confédération, débat ultra-sensible. Sur le mode consensuel, la tribune opinait du chef, « pas de souci pour la modification », mais au final, qu’est-ce qui est ressorti, qu’est-ce qu’on découvre dans le texte final : « la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers et de leur famille » !!! Sous les protestations, rien ne changeait, malgré les remarques de quelques uns qui imaginaient qu’il ne s’agissait que d’incompréhension ! Et les chômeurs ? Et les réfugiés ? Et les étudiants ? C’est encore et toujours le refus d’une revendication nette et tranchée, et la recherche d’un mot d’ordre pour éviter les vagues… Et un net recul par rapport à la décision du 48ème Congrès. [Mise à jour 9 juin 2008] Surprise, on découvre à la publication officielle (voir pages 4 et 5) que c'est purement et simplement la formule initiale "travailleurs sans papiers" qui a été maintenue, malgré les interventions, malgré la réponse consensuelle etc... Fin de la magouille, confirmation de la remise en cause, dans une UD prétendument combative, des positions du 48ème Congrès. En attendant le 49ème... Bien entendu, aucun vote sur la question !
Un autre débat sur les salaires, à l’initiative des camarades de Lutte Ouvrière (voir plus haut), qui s’est un peu crispé sur la question des 1500 €, nets ou bruts. Bien entendu, c’est la revendication confédérale qui restera sur le carreau…
Un débat sensible sur la mise en avant d’un « service public de qualité », repris de plusieurs manières par nombre de camarades de la fonction publique. Débat très classique dans la CGT, mais qui soulignait malgré tout les inquiétudes des camarades de ces secteurs. Inquiétudes doubles : d’une part sur l’impact des restructurations capitalistes dans les divers secteurs de l’Etat pour le personnel lui-même, et inquiétudes sur l’impact de ces restructurations pour la population (éducation, santé etc.). Encore certainement beaucoup d’illusions sur la possibilité d’un service public de qualité dans ce monde, bref, d’un capitalisme à visage humain, mais également la préoccupation positive de la défense des plus faibles.
A noter que malgré ses efforts, et malgré des relances, le débat sur le Nouveau Statut du Travail Salarié n’intéresse personne (ce qui se confirme dans toute la CGT, assemblée après assemblée), et que la CGT 93 est parfaitement alignée sur les positions confédérales à ce propos. Seul un camarade, tentait de manière surprenante de lier l’avancée du NSTS et de la convergence des luttes vers la grève générale ( ???).
On voyait une vraie volonté du « Tous ensemble » sur des revendications communes, comme par exemple les 1500 € (nets bien sûr !) ou les 37,5 ans de cotisations pour la retraite. Daniel Sanchez, le fameux secrétaire des métallos, représentant au congrès du bureau confédéral et « recentré » notoire se faisait moucher une première fois par l’assemblée sur les revendications, alors qu’il proposait le « chacun sur ses revendications ». Il resservait la soupe le vendredi, juste avant la clôture : après le 22 mai, une journée interpro, public/privé, ce n'est pas vraiment le mieux, on va faire des journées par fédérations, car c'est ce que souhaite la base (qui une demi heure avant hurlait à tout rompre : « Tous ensemble ! »). Il essuyait alors des gros sifflements, tout n'est peut être pas perdu ! Mais la Conf’ encore une fois joue le jeu des négociations par branche pour des miettes et ne veux pas d'un mouvement d'ensemble, combatif et revendicatif (on n’ose même pas dire de classe !).
Mais c’est surtout « la position commune » sur la représentativité syndicale qui a polarisé le débat. Il est parti en tout début de congrès d’un camarade retraité de France Télécom qui avait préparé une motion (voir ci-contre), qu’il entendait débattre et soumettre au vote au Congrès. Débat repris par les militants du PT, et approuvé par toute une partie de la salle.
Nous réunis en congrès ce jour, avons débattu de la position commune sur la représentativité syndicale.
- Nous notons avec étonnement que le président Sarkozy qi vient de remettre en cause publiquement le droit de grève a apporté son soutien à cette position commune qui sera soumise sous forme de loi au parlement avant la mi-juillet.
- Connaissant l’acharnement du Medef contre les droits syndicaux dans les entreprises nous sommes surpris de l’existence d’une position commune entre le MEDEF et la CGT dont le contenu serait de renforcer les droits syndicaux
- Sur le fond, et sans examiner tous les aspects du texte, nous relevons :
a) que l’article 10 limite à 4 heures la délégation d’un représentant syndical désigné et ne lui permet plus de participer à la négociation collective alors que jusqu’aujourd’hui une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical, qui dispose de 10, 15, 20 heures de délégations et participe aux négociations collectives. C’est donc un recul majeur du droit syndical. Pour devenir délégué syndical, le représentant devra obtenir 10% dans les élections professionnelles… dans un grand nombre d’entreprises cette clause signifiera de fait la disparition de la représentation de la CGT.
b) L’article 17 permet de déroger aux accords collectifs de branches par des accords d’entreprises moins favorables dès lors qu’ils sont signés par des organisations recueillant 30% aux élections. C’est la porte ouverte à la remise en cause systématique par des syndicats maison des garanties collectives de tous les travailleurs
En conclusion, nous délégués, estimons que cette position commune signifie un recul grave des droits syndicaux et que notre confédération CGT doit reconsidérer sa signature et se mobiliser contre le projet de loi gouvernemental soumis dans les prochaines semaines.
Au fil des séances et des interventions, l’ambiance se tendait, à tel point que la direction départementale a dû (contrainte et forcée) laisser un espace de discussion sur le sujet – pour information l’UD93 s’était abstenue lors du vote du CCN, mais personne n’a jugé utile de le rappeler, ou de le demander lors du Congrès !
Ensuite, la tribune a tenté de dégager en touche en proposant une journée d’étude sur la question avant de se prononcer (vieille technique inusable)… A noter que c’est encore Daniel Sanchez qui en a fait la proposition formelle. Malgré tout, face à la pression de l’assemblée, il a bien fallu organiser un vote, et une intervention musclée de dernière minute de Thierry Dumez, secrétaire départemental (qui n’était pas intervenu de tout le congrès jusque là) pour faire pencher la balance contre la motion. Malgré toutes ces magouilles, la motion ne sera rejetée que par 123 voix contre, 51 pour et 59 abstentions. C’est dire ce qui se serait passé avec un débat honnête et correct ! Au demeurant, la motion n’était pas excellente, et largement consensuelle pour ratisser large. Sans doute. Mais c’est le signe des fortes contradictions à l’œuvre dans la CGT, contradictions qui n’arrivent malheureusement pas encore à se cristalliser en opposition syndicale de classe.
Reste à comprendre pourquoi, dans le même congrès, la même assemblée vote sans débat un rapport d’activité le petit doigt sur la couture, et marque une franche opposition autour de la représentativité, mais pas sur d’autres sujets… C’est d’ailleurs un mouvement qui n’est pas propre à la CGT93, mais que l’on retrouve dans toutes les structures, y compris pour demander une nouvelle consultation du CCN. Franchement, ce décalage nous surprend, et si nos lecteurs ont un avis sur la question, ils sont les bienvenus !
Donc un congrès de plus, en attendant le suivant. Le rituel est accompli, chacun se retrouve devant les stands des sponsors pour champagne et petits fours, chacun repart chez soi, et la direction départementale peut continuer à faire ce qu’elle veut… A suivre, juste pour le fun, le compte rendu de ce congrès qui sera fait dans la VO, le blog s’engage absolument à le mettre ici en ligne, dès parution. On n’a pas fini de rigoler à comparer le mythe et la réalité !
Quoiqu’il en soit, ce congrès nous montre à nous, syndicalistes de classe, qu’il ne suffit pas de râler dans son coin, de critiquer dans les couloirs (petit jeu bien répandu dans la CGT), mais qu’il faut oser sortir du bois, marquer son opposition, nous regrouper, travailler sur le terrain pour avancer. Faute de quoi, la CFDTisation gagnera peu à peu tous les recoins de la confédé, les opposants seront marginalisés ou rejetés et nous aurons perdu cette bataille.
Enfin, il y a un véritable débat à avoir sur la démocratie interne à la CGT, la manière de débattre et de régler les contradictions et la lutte particulière contre la bureaucratisation, qui est l’équivalent en terme d’organisation de ce qu’est le réformisme en terme d’orientation syndicale. C'est-à-dire que le syndicalisme d’accompagnement de plus en plus marqué de la CGT, la CFDTisation, s’accompagne d’un renforcement de la bureaucratie syndicale et de la fermeture du débat, et du verrouillage du syndicalisme par les experts et les bureaucrates. Nous y reviendrons dans un prochain article.