Un projet d’accord sur la représentativité syndicale a été discuté à la hussarde entre le MEDEF et les organisations syndicales (voir le projet, plus les commentaires de la direction de la CGT ICI). La CFDT a annoncé sa signature, FO et la CFTC leur rejet, la CE confédérale de la CGT a d’ores et déjà annoncé son accord, et le CCN est en cours de consultation. [Mise à jour 25 avril : les organisations du CCN ont validé la signature, mais avec un certain nombre de votes contre. Voir le communiqué]
Du coup, de tous les côtés, on s’agite comme jamais dans la CGT, cela rappelle un peu le débat sur le NON à la Constitution Européenne. De multiples syndicats et organisations appellent à rejeter cette signature, les argumentaires défilent, les prises de position également.
Et donc (signe positif de la place qu’on nous donne !) plusieurs lectrices et lecteurs nous ont sollicité pour avoir notre position, une quinzaine de mails à notre boîte sur le sujet c’est dire ! Bonne chose, au détail près que nous ne sommes qu’une petite organisation, avec peu de militants dans la CGT, et que donc, nous n’avons pas les forces, les moyens de construire un point de vue sur tous les sujets, comme ça, d’un claquement de doigt. D’autant que chacun sait que ce blog cherche à stimuler la réflexion, et donc évite (du moins tente d’éviter) de reproduire des positions sans point de vue, de diffuser des approximations faites dans l’urgence etc.
Donc nous avons un peu tardé, nous avons recueilli plusieurs prises de position, nous avons sollicité nos lecteurs, et nous avons un peu pris le temps de la réflexion et du recul.
Car l’affaire n’est pas simple.
Avant d’aborder le contenu précis du projet d’accord et donc savoir quoi en penser, il convient d’éclaircir une question de fond : de quel point de vue parle-t-on, avec quels objectifs ?
Pour nous, militants du blog « Où va la CGT ? », comme pour les syndicalistes de classe en général, nous devons réaffirmer
- Que nous nous plaçons du point de vue de l’exploitation, de l’affrontement entre capital et travail, de la lutte anti-capitaliste. Le syndicat, c’est la forme d’organisation des exploités pour leur libération de l’esclavage salarié, est c’est notre boussole.
- Que nous nous plaçons du point de vue du syndicalisme de classe contre le syndicalisme de collaboration de classe, ce qui d’une certaine manière revient au point précédent.
Cela veut dire que nous défendons les points fondamentaux suivants :
-
Les exploités ont le droit de s’organiser en syndicat sans aucune condition, et tout
syndicat légalement constitué doit avoir le droit de participer aux élections professionnelles dès le premier tour. Ce seront les élections, l’appui de la masse des travailleurs qui
trancheront la représentativité réelle de tel ou tel syndicat. Nous rejetons la défense de la représentativité de principe des cinq grandes organisations (CGT, CFDT, CGC, CFTC et FO), même si
on l’élargit à SUD, l’UNSA et la FSU. L’argument de la défense par ce biais contre la création de syndicats patronaux est parfaitement
bidon : chacun sait que les syndicats maison savent se cacher sous des étiquettes officielles, que les fachos de la CFT se sont reconvertis dans des syndicats FO ou CFTC
etc.
- Allons jusqu’au bout du rejet de l’hypocrisie. Nous connaissons tous, oui tous, des délégués syndicaux CGT, oui CGT, qui ne représentent qu’eux-mêmes et vont à la soupe avec le patron. Le tout en parfaite connaissance des structures qui la ferment au nom d’une supposée présence syndicale. Idem pour toutes les autres centrales syndicales « officielles ». Nous rejetons donc sans aucune équivoque toute entrave à la création et à la reconnaissance des syndicats. Nous rajoutons que nous reprenons ainsi tout l’esprit et l’expérience du mouvement ouvrier depuis l’origine, qui s’est construit et organisé contre le capitalisme et ses larbins.
- Ce n’est pas une vue de l’esprit pour les syndicalistes de classe. Haïs par le patronat, ils sont souvent en butte à l’attaque conjointe des directions réformistes, et le meilleur exemple en est nos camarades du CGT-E Dalkia. Et nous avons bien d’autres exemples partout. Notre objectif n’est pas de quitter les confédérations, de quitter la CGT. Au contraire, c’est en son sein que nous bataillons pour défendre le syndicalisme de classe. Mais nous refusons qu’une décision légale ou institutionnelle empêche l’organisation de classe des travailleurs. Aussi rejetons-nous toute définition d’une quelconque « représentativité » de principe.
- Tout syndicat légalement constitué doit avoir droit à un délégué syndical, de manière inconditionnelle, avec les heures nécessaires à l’exercice de son mandat. Notons que dans le privé ces heures se montent royalement à « au moins dix heures par mois » par mois, rarement beaucoup plus en fait, pas de quoi s’étouffer (article L412-20 du code du travail). Rappelons que c’est un des acquis de Mai 68, et nous devons en défendre le principe, celui de la reconnaissance de l’organisation syndicale en tant que collectif de travailleurs exploités, portant un projet et un point de vue face à la direction, et au nom des travailleurs. Aussi, rejetons-nous toute volonté d’imposer que le délégué syndical soit choisi parmi les élus, ce qui de plus pousse au cumul des mandats que nous combattons par principe contre la bureaucratisation syndicale, et qui met le syndicat sous tutelle des institutions officielles (DP et CE) alors que c’est la démarche inverse qui devrait s’imposer : c’est le point de vue syndical qui doit guider l’activité de tous les délégués.
- De même, nous revendiquons l’indépendance complète du syndicalisme vis-à-vis de l’Etat et du patronat. Nous refusons tout financement par l’Etat, toute aide financière, nous revendiquons un syndicalisme de militants, appuyé sur le terrain, financé par les cotisations et dont l’appareil syndical, locaux, permanents, (nécessaire, n’en déplaise aux anars) soit adapté à ces moyens et ces objectifs.
- Concernant la négociation et la signature d’accords d’entreprise, de branche etc. Il revient aux syndicats existants de participer aux négociations, de développer une position, des propositions en toute transparence vis-à-vis des travailleurs, c'est-à-dire de manière publique. Nous refusons les négociations de cabinet, les conciliabules feutrés de couloirs, les rencontres officieuses, les petites magouilles entre amis. Lors de ces négociations participent tous les syndicats légalement constitués sur l’entreprise (aucune raison de limiter la participation à un quelconque critère de pseudo « représentativité »).
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Mais si la négociation est du ressort des organisations syndicales, la décision est du
ressort des travailleurs. C'est-à-dire que tout projet d’accord doit être soumis au vote des premiers concernés. C’est la
campagne électorale, les explications des uns et des autres qui mènent à une décision : ainsi doit vivre la démocratie syndicale et la démocratie ouvrière. Ce principe est valable à tous les
niveaux, de l’entreprise au national, tous les moyens techniques existent aujourd’hui pour organiser ces consultations. Voilà qui remettrait les pendules à l’heure en contraignant les directions syndicales à justifier leur position face aux travailleurs, qui décident en dernier ressort de valider ou rejeter la
proposition, et donc de valider ou d’invalider telle ou telle position syndicale.
Voilà quelques grands axes, quelques perspectives, qu’il faut d’ailleurs continuer à discuter et enrichir. Nos lecteurs du blogs sont fortement invités à réagir à ce propos.
Retour sur le projet issu de la négociation avec le MEDEF et que la CEC de la CGT appelle à signer auprès du CCN.
On voit tout de suite qu’on ne peut pas accepter cette signature d’un accord qui institutionnalise encore plus les syndicats, qui prévoit un financement officiel, qui permet la validation d’un accord par des organisations ne représentant que 30% des voix aux élections, qui impose un seuil minimum aux élections pour définir une représentativité (c'est-à-dire un accord de partenariat privilégié), permet au patronat de contester la représentativité de tout syndicat gênant, va brider encore plus le syndicalisme de classe dans les échéances tendues de la lutte des classes à venir. Comme le dit M.Donneddu, négociateur CGT : « quoiqu’il en soit, le système mis en place devrait conduire à rendre plus difficile la multiplication des organisations syndicales ». Les choses sont claires.
La direction confédérale est à l’offensive pour faire valider cet accord, et se poser ainsi en partenaire incontournable du gouvernement et du MEDEF. La CE confédérale s’est ainsi positionnée à l’unanimité pour la signature du projet. C’est le troisième étage de la fusée lancée avec la réforme des régimes spéciaux, l’accord sur la modernisation du marché du travail non signé par la CGT mais dont elle ne cesse de clamer qu’elle en est l’inspiratrice. On en arrive à une signature en bonne et due forme, la première depuis 2003 et l’accord sur la formation professionnelle, dont on va certainement reparler très prochainement. C’est exactement ce que note N.Sarkozy lorsqu’il parle de ce nouvel accord, et quand Sarkozy est pour quelque chose, il y a de quoi s’inquiéter, non ?
La direction Confédérale croit jouer sur du velours. Bernard Thibault présente le projet en chantre de la démocratie et de la transparence, en acceptant l’ouverture des élections au premier tour à SUD et l’UNSA, en appuyant la représentativité sur les résultats électoraux. Et en plus, il se félicite sans réserve de l’unité obtenue avec la CFDT, que la CGT aurait fait changer de position… Voilà qui devrait nous inquiéter au premier chef !
Mais par ailleurs, tout le projet est verrouillé pour ne permettre la reconnaissance que de syndicats officiels, regroupés et responsables (voir la citation de M.Donneddu, ci-dessus). Certains syndicats, en particulier dans la fonction publique, se font du souci pour leur avenir ! On comprend mieux la réaction immédiate de la CGC et de l’UNSA annonçant leur rapprochement, en attendant peut-être celui de la CFTC et de la CFDT, puis de FO et de la CGT comme l’appelait de ses vœux un journaliste du Monde ?
Nous invitons donc tous les camarades à intervenir dans les fédérations et les départements pour imposer un NON à cet accord institutionnel, comme nous avons réussi à imposer le NON à la Constitution Européenne. Pour revenir à un syndicalisme totalement indépendant de toute représentativité, appuyé uniquement sur la confiance de la classe ouvrière et des travailleurs, sur la mobilisation et l’organisation contre le capital.
Nous publions en lien trois points de vue qui nous semblent intéressants et porter des éléments au débat : l’un du Crédit Agricole des Alpes de Haute Provence qui explique en quelques mots certains enjeux de l’accord. L’autre de la Fédération de la Chimie (FNIC), assez construit et qui situe assez bien cet accord dans l’évolution du syndicalisme : « Au syndicalisme basé sur la capacité à mobiliser les salariés, à créer un rapport de forces, la position commune substitue un syndicalisme délégataire, un syndicalisme d’opinion. ». Enfin une interview de G.Filoche (inspecteur du travail au Parti Socialiste) qui souligne d’autres aspects inquiétants de cet accord.
Pour autant, on l’aura compris, nous ne reprenons pas à notre compte beaucoup des arguments des opposants actuels (dont ceux cités).
- Nous refusons absolument de défendre l’état des lieux, comme « la présomption irréfragable de représentativité », cheval de bataille de certains syndicats et courants syndicaux comme « La CGT n’est-elle pas en danger ? » lié au PT. Le fond de l’affaire, c’est que nous refusons toute définition de principe de la représentativité.
- Nous considérons qu’avancer le risque des « syndicats patronaux » c’est se cacher derrière son petit doigt, puisque ce risque existe déjà. Et que cet argument ne sert en fait qu’à préserver des positions de partenaires privilégiés que nous ne pouvons pas défendre. Argument très sensible chez FO qui joue à fond cette carte.
- Nous refusons d’appuyer les décisions, signatures des accords etc. sur le seul avis des syndiqués (et syndicats), alors qu’ils ne représentent qu’un pourcentage infime des travailleurs, et au contraire nous mettons en avant la décision mise dans les mains des travailleurs dans leur ensemble, le syndicat conservant bien entendu son rôle essentiel d’éducateur et organisateur.
- Quant à toute la discussion sur la représentativité des organisations d’employeurs, franchement, on s’en fout. Le patronat n’a d’autre légitimité que celle que lui donnent le capital et l’exploitation. Rentrer dans ce débat foireux, d’une certaine manière c’est rentrer dans la discussion d’un bon et d’un mauvais patronat, du rejet du patronat « voyou » (style caisse noire de l’UIMM), pour valider un patronat civique, éthique et reconnaissant la responsabilité sociale de l’entreprise. On sait bien que c’est la tarte à la crème de la direction confédérale, mais il ne faut pas pousser…
Aussi, nous invitons tous nos lecteurs à combattre ce projet d’accord, à refuser la signature de la CGT, mais sur une base de classe, de défense intransigeante des intérêts des travailleurs !