Joyeux anniversaire !
Fin février la nouvelle est tombée sur le site : toutes les fabrications sauf une vont s'arrêter d'ici 2012. L'usine Sanofi-Aventis de Vitry-sur-Seine, banlieue sud de Paris, de même que le centre de recherche qui la jouxte, s'apprêtaient à fêter les cent ans d'existence du site. Joli cadeau d'anniversaire pour les travailleurs qui ont fait la richesse du trust (7 milliards de profit en 2006, idem en 2007, pour 100 000 salariés dans le monde).
Dans l'hypothèse optimiste, cela entraînerait environ 471 suppressions d'emploi sur 640 salariés. L'hypothèse optimiste, c'est si les promesses de création d'emploi faite par la direction se réalisent. Car pour vendre son plan de restructuration, la direction l'a appelé du joli mot de « reconversion ». Un atelier de biotechnologie est censé s'élever sur l'une des pelouses du site. Mais en fait la direction n'a rien promis. La décision n'est pas bouclée et le site de Vitry est en concurrence avec celui de Francfort pour l'implantation future des « biotechs ».
Une ambiance d'inquiétude et d'attentisme
Ce n'est pas la première restructuration. En 35 ans, l'usine est passée de plus de 400 produits fabriqués à une quinzaine. Des pelouses parsèment le site, là où s'élevaient des ateliers. Les salariés s'attendaient donc à quelques arrêts mais pas à tous. La brutalité de la nouvelle a surpris et tétanisé la majorité. L'ambiance n'est pas au combat. L'inquiétude et l'attentisme dominent. Seule une minorité rêve d'en découdre, plus réduite que les noyaux des dernières grèves. Les discussions tournent essentiellement autour des solutions individuelles et rarement sur les possibilités collectives. Un premier rassemblement, le 1er avril au siège, a été un succès mais cependant en dessous de ce qu'on pouvait espérer après une attaque aussi forte.
Une pratique du MEDEF
Cette annonce très longtemps en avance de la fermeture des fabrications est désormais une pratique générale du MEDEF. C'est par exemple ainsi que s'est passée la fermeture de l'usine Alstom-AREVA de Saint-Ouen. C'est ainsi que se fait la restructuration du site Citroën-Aulnay avec l'arrêt de l'une des lignes de montage, délocalisée en Tchéquie.
L'objectif des patrons est d'individualiser au maximum, échelonner les mesures, découper les situations selon les services, l'âge, la qualification et repousser la responsabilité du reclassement ou du licenciement sur les salariés eux-mêmes. L'idée qu'ils cherchent à installer dans les têtes c'est : « Ne vous préoccupez pas tout va bien se passer ! »... et susciter le « Chacun pour soi ! ». C'est ce « chacun pour soi » que combat l'affiche ci-contre, posée à l'entrée de l'usine.
Mauvais temps en prévision !
Car cela ne va pas bien se passer. Les mesures d'âge prévues ne vont concerner qu'une minorité et les emplois créés (une centaine, dans l'hypothèse de l'implantation de la biotechnologie) ne seront que partiellement attribués aux salariés de l'usine. D'ici 2012, le travail va continuer et ils vont pousser à faire des stocks dans des conditions dégradées : moins de personnel suite aux départs volontaires, nombre croissant d'intérimaires, ambiance pourrissante. Puis des vagues de mutations non désirées. Enfin les reclassements externes (l'autre nom du licenciement sec) pour le dernier carré.
Une frange militante qui s'active
Dans cette ambiance d'attente, un noyau de délégués et de travailleurs combatifs débat de la lutte à mener. Outre les discussions sur les moyens de lutte, deux points de vue émergent sur les objectifs.
Le point de vue dominant est de faire converger les intérêts différents de chacun vers une lutte commune. Que ceux qui veulent partir en préretraite partent dans les meilleures conditions possibles. Que ceux qui veulent un emploi en aient un satisfaisant. Que ceux qui veulent en profiter pour se faire muter ailleurs puissent le faire sans perte de revenu etc. Les camarades de Lutte Ouvrière ont défendu très tôt cet objectif. C'est d'ailleurs autour de cet axe « Obtenir des garanties collectives pour chacun » que s'est unifiée l'intersyndicale CGT – SUD - Syndicat Démocratique (un syndicat local animé par Lutte Ouvrière).
L'autre idée, minoritaire, est l'élaboration d'un contre plan. Elle est défendue plus particulièrement par les militants du PCF, suivant en cela la pratique que ce parti a eue sur toutes les restructurations depuis plus de trente ans. Elle veut rendre crédible la lutte en proposant une alternative raisonnable et technique dans le cadre de la concurrence et du marché actuels. Bref, « un autre capitalisme est possible ». Il s'agit de concilier l'intérêt des travailleurs avec les objectifs affirmés de reconversion vers la biotechnologie, en contestant quelques choix d'arrêt de fabrication. Pour le moment, le projet est peu étoffé et peu défendu. Mais on est sûr qu’il va falloir en reparler, c’est partout la politique du PCF et des directions syndicales CGT, de AREVA Montrouge à Arcelor Mittal, en passant par Miko, Kléber ou ailleurs.
Ce que Voie Prolétarienne défend
Gagner demande de partir de l'intérêt des travailleurs, de tous les travailleurs et rien que des travailleurs.
D'abord le principe de solidarité défendu par l'intersyndicale. Il inclut les sous-traitants, mais doit inclure aussi les précaires dont le nombre va croître au fil de l'avancée du plan.
Dans Parmi toutes les revendications, celle qui est centrale est la question de l'emploi. L'emploi des salariés de Sanofi, mais aussi l'emploi en général. De ce point de vue, le « Zéro licenciements ! » n'est pas suffisant. Car même si cet objectif est atteint par des reclassements satisfaisants, l'usine aura dégagé du paysage et il ne restera que deux ateliers « high tech » et un peu moins de chance de se faire embaucher pour les chômeurs alentour. Le département 94 sera un peu plus un département populaire et ouvrier, mais... sans usine.
Gagner suppose, dès que possible, de sortir de l'usine pour trouver une solidarité auprès d'autres travailleurs. Cela demandera de diffuser un discours dénonçant la politique de la direction : Zéro suppression d'emploi ; pas de baisse de revenu, pas de déqualification. Cela demandera de ramer à contre-courant et de traiter la question du risque et de la pollution car les habitants alentour, peu salariés par Sanofi, sont plutôt contents de voir disparaître un site classé « Seveso ».
Gagner demande aussi de combattre toute tentation de contre plan. La démarche « d'amélioration » nous amène sur le terrain de l'adversaire ; à raisonner sur ce qui est rentable ou pas. Et pourquoi pas, demander une hausse du prix des médicaments ou accepter une intensification du travail et quelques suppressions d'emploi. Le contre plan ne mobilise pas mais rend les travailleurs spectateur des joutes entre experts, notables politiques et membres de la direction.
Début d'une lutte prolongée
L'expérience des derniers plans de restructuration montre que le sort ne se joue pas en un combat au finish, mais qu'il s'agit d'une lutte prolongée. La solidarité se construira progressivement, pas forcément avec les mêmes personnes que ceux qui ont fait les grèves de ces dernières années.
La direction sait que ce sera difficile. Elle n'a pas, pour le moment, de syndicat ouvrier qui puisse lui servir de relais. Elle a limogé en urgence le directeur qui risquait par ses maladresses de mettre de l'huile sur le feu, et elle a embauché un directeur de Rhodia pour mener à bien cette fermeture de site. Il faut croire que personne, dans les costards-cravates du siège, ne voulait de cette tâche.
Un travail politique à faire
Le travail d'organisation de la lutte devra aussi s'accompagner d'une dénonciation de la politique de Sanofi et d'une dénonciation du capitalisme en général. Comment la recherche des plus bas coûts conduit le trust à déplacer ses capitaux sans aucun souci pour nos vies. Comment Sanofi et avant, Rhône Poulenc, puis Aventis, ont pillé allègrement la Sécu et nos cotisations et larguent les produits et les ouvriers qui les fabriquent quand ils ne le peuvent plus. Comment l'argument de pollution a bon dos aujourd'hui après cent ans de dégâts sur les sols, la Seine, les habitants et, surtout, les salariés qui ont travaillé sur le site. La victoire sera aussi politique ou elle ne sera pas.
Le Comité Central d'Entreprise du premier avril, au siège de la Croix de Berny, a détaillé le volet social du plan de restructuration. Nous étions 150 personnes à nous y inviter le matin pour un accueil grilles fermées, malgré l'engagement de la direction de recevoir tout le monde. Motif : la restructuration ne concernait que l'usine or une cinquantaine de salariés du centre de recherche étaient venus en solidarité. Eux-mêmes ont connu plusieurs restructurations ces dernières années en 1998 et, dernièrement, la fermeture du centre de recherche de Romainville et la suppression de 150 emplois sur Vitry. La discussion s'est tendue jusqu'à ce qu'on s'énerve et qu'on ouvre en force la grille. Une poussée et nous étions dans la place, y compris avec les journalistes et les élus PC venus nous soutenir avec leur écharpe.
La confrontation avec la direction s'est faite dans un amphithéâtre. Rien de neuf sur le social qu'on ne savait déjà, mais un laïus des directeurs sur la pollution (passée et présente) et les biotechnologie (futures) ; discours tenus sous des vagues de huées.
Deux types d'interventions venant de la salle : une partant des productions pour en défendre le maintien, l'autre partant directement de la défense des salariés. Pour le moment ces différences d'approche se combinent sans se heurter.
Une passe d'arme intéressante a eu lieu entre un membre du Conseil Général du 94 et un des directeurs. Ce dernier a reproché à l'élu de Vitry un double langage sur la pollution : impitoyable dans l'enceinte de la Mairie où il avait été convoqué, et soft dans l'amphithéâtre devant les difficultés de Sanofi à suivre des normes qui ont brutalement baissé dernièrement.
Le trust n'est certes pas tout rose et la lutte contre la pollution était un souci mineur jusqu'à récemment, mais cet échange nous a fait toucher du doigt l'ambiguïté de la Mairie de Vitry dans cette affaire. L'arrêt des fabrications semble aussi s'inscrire dans le cadre de l'aménagement de la Seine-amont. Moins d'usine, plus de bureaux, des immeubles de standing et un aménagement des berges de la Seine en lieu de vie futur. La Mairie considère peut-être que c'est incompatible avec une usine « Seveso » sur la zone. Il faudra revenir sur ces aspects par la suite.
Cette initiative est la première que nous ayons menée depuis l'annonce des arrêts de fabrication, le 21 février. L'action réussie permet de poser pour la première fois le collectif de lutte comme une alternative au repli individualiste et à la déprime.
Un premier pas qui en appelle d'autres.