Mai 68, c'était il y a quarante ans. Nous republions ci-dessous un article écrit en 1998 (dans le journal "Partisan") par un camarade de l'usine Rhône-Poulenc de Vitry, aujourd'hui SANOFI, en pleine restructuration. Cet article n'a pas pris une ride, même si il a été écrit il y a dix ans : d'une part Mai 68 n'a pas changé depuis (!), d'autre part la bataille politique et idéologique autour de son histoire continue à faire rage. En particulier autour de la reprise et du rôle de la CGT à ce propos.
Pour cause de retraite, il ne reste aujourd'hui plus dans nos usines d'ouvriers ayant vécu Mai 1968... Aussi n'est-il pas sans intérêt de revenir dix ans en arrière pour retrouver leur parole !
Cet article décrit la réaction des ouvriers de l'usine, suite à un communiqué de la Confédération CGT, lui même en réaction à une émission de la Marche du Siècle (une émission politique de l'époque sur la 3).
C'est le titre d'un tract CGT qui reproduit une déclaration de Georges Sëguy, qui a fait un tabac dans l'usine Rhône Poulenc Vitry auprès des anciens qui ont vécu mai 68...
C'est une réaction à l'émission "La Marche du Siècle" de Cavada sur FR3, qui avait pourtant eu le mérite de donner la parole à des anciens militants, dont plusieurs ouvriers de la base, n'ayant rien renié de leur engagement à l'époque.
L'émission "La Marche du siècle", consacré aux événements de mai 68 a donné lieu à un débat qui n'a pas brillé par l'objectivité, si l'on peut dire par euphémisme. Elle est même allée jusqu’à la falsification en parlant de la "signature des accords de Grenelle" alors qu'il n'y a eu aucune signature pour la raison bien simple qu'il n'y eut pas d'accord à Grenelle et qu'il n'était absolument pas question, pour la CGT, d'inciter à la reprise du travail. Elle a évoqué, de manière mensongère, le meeting du 27 mai à Renault Billancourt et escamoté plusieurs faits cruciaux sans la connaissance desquels l'enchaînement des événements est incompréhensible.
Elle a minimisé l'événement majeur et unique dans notre histoire sociale : la grève générale qui paralysa la France, trois semaines durant. Elle a dérivé à plusieurs reprises en dénigrements contre la CGT jusqu'à la calomnie, ce qui explique, sans doute, qu'aucun représentant de la principale force syndicale organisatrice et dirigeante de la grève générale n’ait été invité à prendre part à ce débat. Voilà pourquoi la fin de l'émission s'est lamentablement répandue en pessimisme d'esprit "soixante-huitard" insensible au fait que les idées émancipatrices et généreuses qui germèrent en ce mémorable printemps, continuent à nourrir, au sein de la nouvelle génération, la pensée progressiste et humaniste de ceux qui espèrent bien réussir à transformer la société. Décidément, cette "Marche du Siècle" boitait vraiment bas, elle ne grandit pas ses producteurs.
La réaction des ouvriers "soixante-huitard"
Nos camarades aujourd'hui les plus anciens se rappellent en effet parfaitement que la CGT a appelé seule à la reprise, sur le thème rebattu d'"il faut savoir terminer une grève", alors que le mouvement était puissant et structuré démocratiquement par des Comités de base.
Environ 100 à 150 personnes ont alors repris, alors qu'un petit millier a continué la grève encore deux jours. Un ancien raconte que le dernier jour, ils étaient partis à Choisy où s'étaient regroupés les militants de la CGT. Et ceux-ci s'étaient armés de briques, pensant que les manifestants allaient les agresser ! Ils se sont contentés de les huer...
Sur le fond du tract
Si la remarque comme quoi les médias minimisent la grève générale de 68 est tout à fait justifiée, la critique précise à l'émission la Marche du Siècle est injuste. Le problème, c'est que lors de cette émission, l'image de la grève générale n'était pas celle que la CGT veut en donner. Que des ouvriers, à la télévision, expliquent 30 ans après comment ils ont été à la rencontre des étudiants, en quoi ceux-ci ont servi de détonateur, pourquoi la grève générale ne portait pas seulement sur des revendications matérielles (salaires) mais sur tous les aspects de la vie (par exemple la dictature des petits-chefs), voilà un sacrilège inadmissible !
Par ailleurs, il est vrai qu'il n'y a pas eu "d'accord" en bonne et due forme à Grenelle, mais il y a quand même eu signature d'un "constat", sorte de protocole de fin de conflit comme il s'en signe lors de la fin d'une grève. Et tous les ouvriers de l'époque se rappellent que les accords de Grenelle ont été la base de l'appel à la reprise dans toute la France, alors même que le mouvement était encore puissant. On le voit en particulier dans le film "Reprise" (aux usines Wonder à Saint-Ouen).
La reprise a été le fruit d'une décision prise, non à la CGT mais au bureau politique du PCF qui avait en perspective les élections générales. Séguy l'a lui-même expliqué au début des années 80, expliquant qu'il était contre (du moins l'avait-il prétendu) et qu'il avait cherché sans succès à convaincre Marchais que "c'était trop tôt".
Alors rétablissons la vérité : quoi qu'on travestisse, mai 68 a bien été le début de la rupture d'une fraction ouvrière importante avec l'appareil de la CGT et du PCF.