La manifestation appelée par l'ANDEVA et la FNATH, soutenue par la CGT, en défense des victimes de l'amiante et contre toutes les formes de pénibilité au travail a été un large succès. Entre 15 000 et 20 000 personnes ont défilé de la gare Montparnasse aux Invalides, venant des quatre coins de la France. On remarquait les gros cortèges de Loire Atlantique, du Nord Pas de Calais, de l'Auvergne et de bien d'autres endroits... Des cortèges particulièrement fournis de la FNATH qui avait mobilisé en masse, plus encore que les années passées, sur des mots d'ordre plus large que la stricte question de l'amiante et qui touchaient toute la question des conditions de travail, de l'usure, du travail ouvrier. Absence totale cette année des cortèges de la CFTC et de la CFDT, participation massive par contre de la CGT, peu visible à l'inverse les années passées.
Impression bizarre quelque part, de deux cortèges successifs : d'abord le cortège de l'ANDEVA et de la FNATH, accompagné de délégations syndicales, ensuite le cortège de la CGT en tant que telle dont les mots d'ordre étaient centrés sur la réparation, la retraite anticipée et la dénonciation des franchises médicales de Sarkozy.
Ce malaise, on l'avait senti dès que la CGT a décidé d'appeler à cette manifestation. Son tract d'appel ne comportait qu'une seule courte allusion à l'amiante et dans les médias à la veille du 13 octobre, on n'entendait parler que de "manifestation contre les franchises médicales". Ce qui provoquait une réaction irritée des organisateurs remettant les pendules à l'heure. En quelque sorte le sentiment d'assister à une sorte de "détournement de manif" de son objectif initial vers un autre, avec le rouleau compresseur de l'appareil de la CGT pour le mettre en oeuvre. Et cela a été le cas : la CGT a mis le paquet sur cette manif, comme elle sait le faire, avec un succès réel : il y avait des participations d'entreprises assez massives, bien au delà du petit cercle des bureaucrates abonnés par obligation aux manifestations officielles...
La réaction de l'ANDEVA et de la FNATH a corrigé le tir, et on a vu la CGT plus prudente, plus "dans le sujet". Il faut dire que la plupart des militants de longue date de ces deux associations sont en fait des militants CGT, qui mènent ce combat depuis des années, au début très à contre courant y compris de leur propre confédération.
Mais il faut sortir du débat étriqué de la gué-guerre d'appareils. L'attitude de la direction confédérale de la CGT s'explique au fond par son attitude à l'égard de la pénibilité et des conditions de travail, que nous avons détaillé dans un autre article. Il était tout à fait juste de sortir du sujet étroit de l'amiante pour l'élargir à toutes les questions de la pénibilité, de la santé au travail et donc des franchises médicales. Notons d'ailleurs que c'est de cette manière que la FNATH avait mobilisé pour la manifestation. Mais ce qui pose problème, c'est quand la question des conditions de travail, de la vie de l'ouvrier dans un monde d'exploitation passent à la trappe. Ne restent que la réparation, qu'elle soit financière ou en termes de retraites.
On peut comprendre qu'à propos de l'amiante il ne soit plus possible de parler que de réparation (le produit est totalement interdit depuis 1997). Mais la pénibilité, c'est tout un volet, extrêmement important de la vie ouvrière, et particulièrement sensible, comme on l'avait déjà vu lors du meeting de Dunkerque.
De mois en mois, de la négociation sur la pénibilité à la question des régimes spéciaux, de la souffrance au travail à la retraite anticipée, on voit se préciser la position de la Confédération : abandonner (du moins au sommet) la lutte pour les conditions de travail, abandonner les régimes spéciaux pour tenter de grappiller quelques miettes de retraite anticipée dans quelques secteurs, pour quelques "réparations de préjudices", comme l'a si bien dit Bernard Thibault durant la manifestation (journal de France Inter, 18h00, le 13 octobre) :
Enfin, l'attitude de la Confédération s'explique aussi par son sentiment relativement à l'arrivée de Sarkozy au pouvoir. La direction confédérale ne cesse de répéter que l'élection de Sarkozy manifeste un "désir de changement" chez les salariés, et que donc les négociations en cours (la multiplication des négociations qui enfument les syndicats jusqu'à l'embaumement comme l'a si bien écrit un journaliste) peuvent permettre d'appuyer "dans le bon sens", de gagner des acquis etc. etc. Baratin terrible qui ne fait que démobiliser, puisqu'il développe deux illusions, celle que Sarkozy peut changer quelque chose dans le sens des travailleurs, et celle que des négociations de ministère peuvent amener quelque chose de positif.
Bref, une nouvelle fois, la manifestation du glissement responsable (mais pas coupable) de la direction confédérale dans le réalisme de la cogestion (peut-être conflictuelle, mais cogestion quand même) avec le gouvernement...
"Ne plus perdre sa vie à la gagner" ? Une question de société, une question d'économie, la question du socialisme, non ? C'est en tous les cas ce que nous avons dit à cette occasion...
Merci à P.Leclerc (Photothèque du mouvement social) pour les illustrations