« Demain le changement »
de JC Le Duigou
Oh Noooon ! Surtout pas ce changement là !
1) Il s’agit d’un livre (sous titré Manifeste pour un nouveau syndicalisme) écrit par un responsable syndical qui est en
quelque sorte la « tête pensante » de la CGT. Une « éminence
grise » comme on dit. En arrière plan par rapport à Thibault, Dumas et autres, c’est lui qui pilote toutes les négociations complexes sur les sujets vastes (retraites, sécu…). Même si c’est
un livre personnel, il faut le critiquer. On notera par ailleurs qu’il reprend des articles entiers publiés par ailleurs pour la CGT, comme celui sur la Sécurité Sociale Professionnelle, (voir
l’article
à ce propos) publié en février 2005 dans Analyses et Documents économiques, qui est reproduit à peine modifié comme chapitre 6 du livre.
2) C’est un projet ouvertement et explicitement
réformiste. C'est-à-dire dont l’objectif est de tenter d’améliorer la société telle qu’elle est, sans la bouleverser.
- Le marché est dans
l’ordre des choses :
« Le marché, nous le connaissons. Nous cherchons à l’orienter, à la
maîtriser, à le transformer. Nous ne sommes pas pour l’abolir comme cela a été fait dans l’expérience soviétique ! […] Nous voulons conquérir une économie de marché, avec ses règles,
ses institutions, ses garanties, mais aussi ses outils publics et ses dimensions non marchandes. […] Certes, certains rêvent encore d’une « abolition globale du marché », plutôt que
d’une transformation de celui-ci. Cela me paraît aussi décalé que les exhortations de M. Seillière, qui affirme que « l’économie doit rester à l’écart de la politique ». »
(p248). Le marché n’a aucune justification immuable : une société fondée et organisée pour la satisfaction des besoins de l’immense
majorité n’a nullement besoin de marché et de concurrence.
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La croissance est une valeur positive
« La croissance a besoin d’être confortée et soutenue » (p103) On ne s’interroge pas de savoir à
qui elle profite d’abord en régime capitaliste : aux exploiteurs ou aux exploités.
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L’entreprise doit pouvoir faire des bénéfices :
« Qu’une entreprise fasse des bénéfices n’est nullement condamnable » (p37) Ouups !
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La compétitivité est un critère normal
« Il n’est pas question d’ignorer la contrainte de compétitivité des entreprises. L’idée « d’interdiction des
licenciements » est de ce point de vue ni réaliste, ni ambitieuse. Sa mise en œuvre se retournerait très vite contre les salariés. Il faut être beaucoup plus ambitieux et créer un droit
d’intégration dans l’emploi. » (p106/107) Accepter le critère de compétitivité, c’est
accepter la guerre économique, la concurrence. C’est au départ se ligoter les mains et refuser une société basée sur les besoins et la solidarité, peut-être moins compétitive, mais beaucoup plus
utile socialement.
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Il faut inventer une nouvelle efficacité économique :
« Dans un contexte marqué par l’accroissement d’échelle de la concurrence, la base d’un dialogue social ne peut être que de nouveaux objectifs sociaux appuyés d’une
recherche d’une nouvelle efficacité économique » (p169) « L’évolution du secteur public doit donc s’inscrire dans une réflexion plus globale sur une problématique de
« désétatisation des entreprises publiques » qui n’abandonne pas l’objectif de nouvelle efficacité économique face à la contrainte des marchés et de la rentabilité. Il faut savoir
distinguer entre les fins et les moyens : des moyens qui deviennent partiellement obsolètes et qu’il faut renouveler ; et des fins, notamment une maîtrise collective de la politique de
développement économique et social, qui demeure un objectif plus que jamais indispensable » (p216/217)
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Il faut peser sur les choix de société :
« Les salariés interpellent vigoureusement les différentes institutions, réclamant moins des solutions toutes faites auxquelles ils ne croient plus, que des
outils, des informations, des points d’appui pour construire eux-mêmes leurs réponses. Ils veulent peser sur les choix qui les concernent de manière autonome et veulent qu’on leur donne les
moyens de réaliser cet objectif. Le mouvement cherche à s’émanciper des cadres anciens. » (p243). S’émanciper surtout de l’idée et de
l’espoir d’une révolution véritable, c’est cela que veut dire JC Le Duigou.
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Et pourquoi pas l’autogestion ?
« Les partis politiques n’ont pas répondu au mouvement de la société. Les aspirations à la participation et à l’autogestion ont été repoussées dans les années
70 au profit de la conquête du pouvoir d’Etat. Une fois installés, les gouvernements de gauche ont rapidement repris les recettes du libéralisme, la toute puissance du marché, étouffant
l’initiative citoyenne » (p29). L’autogestion, dans le cadre du capitalisme, donc de la mondialisation, de la concurrence et du marché, est un leurre et une plaisanterie pour les
travailleurs. Ce n’est que le rêve des cadres qui s’imaginent savoir mieux gérer le capitalisme que les patrons !!!
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Il faut trouver une troisième voie entre libéralisme et révolution :
« Entre la « pensée unique » [donc le
libéralisme, NdC] et la dénonciation de « l’horreur économique » [les effroyables bolcheviks que nous sommes, NdC], il est en effet nécessaire d’ouvrir la voie à une véritable politique
de développement social. » (p247).
3) C’est un projet qui est dans la filiation directe du projet du PC d’il y a vingt ans
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C'est la critique du capitalisme actionnarial, de la logique capitaliste actionnariale, en gros du capitalisme financier. « Le capitalisme financier mondialisé semble marcher sur la
tête » (p49) « La dépendance accrue des entreprises, des gouvernements et des banques vis à vis des marchés de capitaux a été un puissant vecteur de la domination des critères
de rentabilité financière dans toutes les décisions qui font la marche de l’économie » (p43). Or depuis Lénine (les années 1910, quand même…), on sait que le capitalisme et le système
bancaire et financier ont fusionné pour créer ce qu’on appelle l’impérialisme.
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Valorisation du capitalisme industriel, « insuffisance des investissements industriels, comme souligné dans le
rapport Beffa » (p38). Comme si le capitalisme industriel était moins exploiteur que le capitalisme financier, pour autant qu’il y ait une différence entre les deux (voir
ci-dessus !)
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Nous vivons une mutation technologique majeure : « Le monde de l’entreprise, la notion d’entreprise
elle-même sont sans doute en train de subir une transformation aussi importante que celle qui a accompagné la transformation des commerçants aventuriers du Moyen Age en fabricants en grande série
de l’ère industrielle » (p51) Mais, « cette mutation est dévoyée » (p50) « Les nouvelles technologies informationnelles introduisent variabilité et
flexibilité dans le processus de production » (p51). Allons bon, on nous ressert la plaisanterie modernisée de « la mutation informatique » dont tout le monde parlait dans les
années 80… Une mutation chasse l’autre !
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Il faut démocratiser la société et l’entreprise. Des droits nouveaux pour les salariés, un contre-pouvoir syndical et responsabilité sociale des entreprises. (p183)
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C’est de manière assez explicite, la vision d’un capitalisme à visage humain et raisonnable, où l’exploitation a disparue. « Dans un contexte marqué par l’accroissement d’échelle de la concurrence, la
base d’un dialogue social ne peut être que de nouveaux objectifs sociaux appuyés d’une recherche d’une nouvelle efficacité économique » (p169)
4) C’est un
projet modernisé, qui se distingue de ce vieux projet
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C’est un projet qui se situe en termes de besoins sociaux, d’autogestion, et pas d’étatisation ou d’industrie lourde.
Les restructurations mondiales sont passées par là.
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C‘est un projet mondialiste et pas nationaliste : « Faire bloc avec l’Etat autour de quelques firmes
mondialisées à base française, sortes de « champions nationaux » affrontant la guerre économique, est illusoire » (p231) Mais qui sous-estime complètement les implications de
la guerre économique mondiale pourtant décrite : « La guerre économique mondiale : affrontement financier et monétaire sans précédent, véritable guerre des capitaux qui
provoque la fragilisation des diverses collectivités nationales et sociales établies » (p226) Les seules propositions relèvent de la mise en place de règles sociales mondiales et d’un
fonds de développement mondial puissant… autrement dit, on frise l’impuissance.
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C’est une vision large, globale, écologique, féministe (un chapitre entier), sociale de la société, et non plus une
vision corporatiste étriquée, productiviste du développement économique : « Les réflexions sur le développement durable sont nées d’une critique du productivisme caractérisant le
mode de développement des Trente Glorieuses. […] Dans ce mode de développement, l’élargissement du marché joue un rôle fondamental. […] Il ne faut pas pour autant en cacher les effets pervers. Ce
modèle productif a été très coûteux en ressources naturelles et a eu des effets négatifs sur l’environnement. » (p44/45)
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C’est une vision qui n’a plus comme projet qu’une démocratisation générale de la société, et qui prône donc l’abandon des
revendications radicales, au nom d’une conception réformiste et de la complexité globale de la société : « L’objectif des 32h est dangereux parce qu’il ne correspond en rien au
rapport de forces actuel. » De plus, « le travail a commencé à changer et devient de plus en plus rebelle à son enfermement dans une plage de temps clairement délimitée et
mesurable, ce qui constituait une caractéristique essentielle du travail industriel classique » (p136)
5) C’est un projet qui se rapproche de l’anarcho-syndicalisme à l’ancienne.
Il
est frappant de voir tout au long du livre les références qui sont fort peu critiques à l’égard de l’anarcho-syndicalisme traditionnel ou du syndicalisme révolutionnaire du début du XXème
siècle.
Si l'on analyse quelques unes des conclusions finales :
- Nécessité d’un profond renouvellement de l’action politique (sans plus de détails)
- La question de l’Etat est au cœur du rapport entre syndicat et politique
- Cela bouleverse la manière dont chacun – Etat, partis, mouvement syndical – doit penser sa fonction
Tout laisse à penser que la conception nouvelle de JCLD est celle d’un syndicalisme de contre-pouvoir pour s’adapter en permanence aux évolutions
du capital, sans plus s’intéresser à la question du pouvoir, clairement méprisée à la suite de l’échec des pays « soviétiques » : « L’échec du « soviétisme » et
de ses succédanés a discrédité la gestion par l’Etat » (p264)
Par contre, c’est un projet qui se propose avec une vision
globale de la société et une proposition générale, cohérente, de transformation dans tous les aspects de la vie. Qu’avons-nous à lui opposer ? C’est un grand enjeu du syndicalisme
de classe et de la politique communiste révolutionnaire.
Voilà. Cette critique ne rentre pas dans tous les détails, tel ou tel aspect, comme l’immigration (chapitre 9), les services publics (chapitre 12), la
sécu (chapitre 5) etc. Le livre est assez mal structuré dans sa logique (du moins d’après nous) et le compte rendu fait ci-dessus se contente de tenter de tracer le sens général qu’il porte et
qui va permettre de faire comprendre les orientations défendues dans la CGT.