La « Sécurité Sociale Professionnelle »,
vraie-fausse bonne revendication ?
Critique de la revendication de la CGT
1) La bonne idée
La Sécurité Sociale Professionnelle ou nouveau statut du travailleur salarié sort du 47ème Congrès de la CGT, sous
la forme d’une bonne idée :
Maryse Dumas : « Nous proposons une sécurité sociale professionnelle, c'est-à-dire des droits à une carrière, à la formation professionnelle, à
la progression des salaires, au maintien du contrat de travail et du salaire en cas de suppression d'emploi. Ces droits seraient attachés à la personne du salarié, et progresseraient avec lui.
Ils seraient garantis au plan interprofessionnel afin que chaque employeur soit tenu de les prendre en compte et de les respecter chaque fois que le salarié change d'emploi. » débat au Monde, le
25 octobre 2004
A l’instar de la Sécu/Santé, il s’agit de garantir des droits aux salariés tout au long de leur carrière, quelle que soit leur mobilité et leurs
évolutions professionnelles. En ces périodes de chômage et précarité, voilà qui est attractif. Et c’est cela que comprennent la plupart des militants et responsables CGT, même en opposition à la
direction confédérale.
2) Le contexte de la bonne
idée
Il faut essayer de voir un peu plus loin que le bout de son nez. On s’appuiera sur l’article « La Sécurité Sociale Professionnelle, une utopie réaliste », publié sous la signature
de JC Le Duigou dans la revue Analyses et Documents Economiques en février 2005 (ici), ainsi que sur le livre du même auteur « Demain le changement, manifeste pour un nouveau syndicalisme ».
On repart à l’envers. Pour la direction de la CGT, dans quelle époque vivons-nous ?
Nous vivons une époque de mutation technologique majeure : « Le monde de l’entreprise, la notion d’entreprise elle-même sont sans doute
en train de subir une transformation aussi importante que celle qui a accompagné la transformation des commerçants aventuriers du Moyen Age en fabricants en grande série de l’ère industrielle […]
Les nouvelles technologies informationnelles introduisent variabilité et flexibilité dans le processus de production » (p51 du livre de JC Le Duigou). Tout l’accent est mis sur les NTIC, les
fameuses Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
Diable… Mais au fait, de mémoire…il s’est passé quelque chose entre le Moyen Age et la grande série de l’ère industrielle, non ? Deux révolutions : 1789
et la Commune de Paris.
Retenons : nous vivons une époque similaire à celle qui est passée du féodalisme au
capitalisme. Cette nouvelle époque se traduit par une nouvelle grande flexibilité dans la
production ; c’est inéluctable.
3) Les conséquences du contexte de la bonne
idée
Or cette « mutation technologique » est « dévoyée » par le capitalisme financier à son seul profit :
« Les mutations technologiques qui
appellent une plus grande souplesse dans l’organisation du travail et une plus grande mobilité professionnelle ne sont intégrées ni dans les stratégies sociales ni dans les négociations »
(article pré-cité). « Pour être pertinente, une problématique offensive a besoin d’articuler travail, salaire et emploi de manière nouvelle » (idem) « Ce n’est pas au moment où la circulation de
capitaux est totalement libre et où les actionnaires ont la possibilité de réduire les risques pris, qu’il faut réduire les droits des travailleurs. Les évolutions du travail et des technologies
ont pour conséquence de mettre l’individu et le travail au cœur du dispositif de recherche d’efficacité. » (idem) « Il n’est pas question d’ignorer la contrainte de compétitivité des entreprises.
L’idée « d’interdiction des licenciements » est de ce point de vue ni réaliste, ni ambitieuse. Sa mise en œuvre se retournerait très vite contre les salariés. Il faut être beaucoup plus ambitieux
et créer un droit d’intégration dans l’emploi. » (idem)
Pour conclure : « C’est le sens de la proposition
Cgt d’une « sécurité sociale professionnelle » qui vise à articuler de manière nouvelle marché du travail et protection sociale et par là à en faire évoluer le contenu. »
Retenons : dans ce nouveau contexte de flexibilité et de précarité croissantes, il faut
adapter le marché du travail de manière à protéger les salariés
4) Les détails de la bonne idée
Repris en citation de l’article d’Analyses et Documents Economiques :
« - Il s’agit tout d’abord de protéger le salarié
dans toutes les situations de rupture de son intégration professionnelle.
- Les droits divers acquis par le salarié doivent être transférables : droit à la formation ; reconnaissance des qualifications
et des compétences ; ainsi que certains avantages sociaux et les comptes épargne-temps ;
- La rupture du contrat de travail doit être exceptionnelle. Le salarié doit maintenir le plus longtemps possible le lien avec
son entreprise si possible jusqu’à ce qu’il ait retrouvé un autre travail équivalent. Bien entendu, la rémunération ne serait plus à la charge de l’employeur, mais celui-ci devrait continuer à
aider le salarié à retrouver un emploi ;
- L’accès à la formation a besoin d’être facilité, ce qui suppose un regroupement dans le cadre d’un
service public de type nouveau, dans lequel les organisations syndicales et les organisations professionnelles seraient associées à la gestion de l’ensemble des outils actuels de formation
continue. Ce système permettrait une large mutualisation des coûts correspondant à l’objectif de formation, de mobilité et d’intégration dans l’emploi ;
- Une politique d’éradication des causes de vieillissement prématuré au travail devrait être mise en place. Il ne s’agit pas
seulement de s’occuper de « l’emploi des seniors » mais de créer les conditions d’une bonne santé pour les travailleurs. Le critère de base est simple : plus aucun salarié ne doit voir son
espérance de vie raccourcie par de mauvaises conditions de travail ;
- La réforme du mode de contribution sociale des entreprises est indispensable pour sortir d’une pure logique d’assurance qui permet aux employeurs les moins vertueux de reporter
sur les autres les coûts liés à leur comportement;
- Ce système beaucoup plus protecteur devrait s’accompagner d’un suivi individualisé des personnes,
employeurs et salariés, alliant des formes de soutien efficace à des contrôles et sanctions pour tous ceux qui n’accepteraient pas de respecter les règles. »
On notera l’absence remarquable de revendications spécifiques pour les précaires ou les chômeurs. Mais est-ce bien étonnant, finalement ? On sait que la Confédé n’a jamais été très chaude à l’égard des chômeurs, même de la CGT Rebelles… Chacun se rappelle l’incident au
47ème Congrès qui a aboutit à l’éviction d’un chômeur de la CEC.
Mais si l’on se situe dans une perspective de mobilité et de flexibilité accentuées dans le cadre d’une mutation technologique inéluctable,
la perspective (acceptée) est celle de tous mobiles, tous flexibles et la perspective syndicale devient la recherche d’une sorte de « bouclier social » permanent, que l’on soit fixe, chômeur ou
précaire pour protéger le salarié dans ce cadre nouveau. Et voilà la Sécurité Sociale Professionnelle !
Retenons : il faut améliorer les conditions de travail du salarié, au
travail, comme contrepartie à la mobilité désormais inévitable du contrat de travail.
5) La logique de la bonne idée
Il ne s’agit plus d’une opposition aux restructurations, à la précarité, à la flexibilité en tant que telles, en tant qu’attaques contre la classe ouvrière dans le cadre de la compétition
mondiale féroce, la guerre économique. Il s’agit d’accepter ce nouveau contexte mondial (cette « mutation révolutionnaire ») et de tenter de proposer un système social adapté permettant en gros,
au pire de « limiter les dégâts », au mieux de faciliter les évolutions capitalistiques nécessaires.
« Une démarche plus ambitieuse qui tienne les deux bouts de la chaîne est indispensable : d’un côté, l’insertion des jeunes,
la protection des emplois existants, le niveau des salaires, la réforme du financement de la protection sociale, les pouvoirs de contrôle des salariés ; de l’autre côté des projets d’emploi
nouveaux dans l’industrie, à l’articulation de la recherche et du développement, sur les nouvelles technologies et les systèmes d’information, dans les services de haute qualité. » (p247 du livre
de Le Duigou).
C’est tout simplement une logique complètement réformiste et d’adaptation. Une logique à la CFDT. Bon, il
y a encore un volet revendicatif, une forme de contrepartie revendiquée à l’acceptation de la flexibilité, un peu comme dans le temps « Je veux bien faire ce boulot de merde, mais je veux une
prime ».
On comprend mieux l’acharnement de la CGT sur la formation professionnelle (et les accords signé) sur la pénibilité, sur
l’acceptation des cellules de reconversion. C’est la contrepartie à l’abandon du radicalisme du passé, au refus des restructurations, à l’opposition (au moins de façade) au capitalisme, pour
assumer un réformisme militant. Et la direction de la CGT de faire des pieds et des mains pour convaincre le patronat « raisonnable » (style Beffa, style Confrontations…) de ses bonnes
intentions, et de la validité de ses propositions.
Le problème de fond, c’est que la guerre économique n’est pas affaire de bonne volonté de tel ou tel. Il n’existe pas et ne peut pas
exister d’intérêt commun des capitalistes en tant que tel : la concurrence, le marché, la propriété privée de chacun, les taux de profit viendront tôt ou tard se rappeler à leur bon souvenir.
Roche/Sanofi/Merck, Renault/PSA/Ford, Saint-Gobain/Asahi/Pilkington, Exxon/Total/Shell, Sony/Vivendi etc. on n’est pas vraiment copains entre capitalistes !!!
Le rêve des dirigeants de la CGT (comme du PCF ou d’ATTAC, ou d’autres) c’est que les capitalistes du monde entier se mettent d’accord sur
un statut social mondial. Comme si la concurrence ne jouait pas sur les taux de profits et la productivité, et donc l’exploitation des travailleurs. Comme s’il était possible d’arriver à un «
capitalisme à visage humain », débarrassé de l’exploitation, où la concurrence ne jouerait que sur les prouesses techniques. Vous n’y croyez pas ? On exagère ?
« Un nouveau mode de travail cohérent avec cette approche nouvelle de l’efficacité est en gestation. Il est fondé sur trois éléments : la disponibilité générale du
travailleur, qui devient essentielle ; le dépassement de la division direction-exécution, qui est caduque ; l’évolution de l’ancienne division fonctionnelle des tâches qui doit s’effacer au
profit de relations transversales et coopératives. » (p171/172 du livre de JC LeDuigou)
Retenons : il faut avancer vers un capitalisme à visage humain, débarrassé de l’exploitation, mais ni
de la concurrence, ni du marché, ni de la guerre économique.
6) Comment alors aborder la revendication de Sécurité Sociale
Professionnelle ?
A s’opposer frontalement à cette bonne idée, on risque fort de s’isoler rapidement, dans la mesure où la plupart des militants CGT n’ont qu’une vision partielle de cette revendication.
Il nous faut revendiquer clairement tout ce qui ressort de l’intérêt des travailleurs :
-Amélioration permanente des conditions de travail !
-Reconnaissance de la qualification, par le
diplôme comme par l’expérience. Y compris dans le passage d’un emploi à l’autre !
-Reconnaissance de la pénibilité des
conditions de travail, et de la retraite anticipée dans ce cas !
-Formation sur le temps de travail, à la seule charge
de l’employeur, avec ouverture de droits obligatoires !
-Zéro licenciement ! Maintien des postes de travail !
- Embauche des précaires et des intérimaires (rappel : pas un mot dans la SSP)
-Défense des droits des chômeurs (revenus sans abattement,
droit à la formation) (idem) !
-Refus de tout contrôle et sanction, en particulier pour les chômeurs (évidemment
exactement l’inverse de la SSP) !
-Récupération de toutes les cotisations sociales des employeurs, impayés,
intéressement, participation etc. !
Sur cette base, on peut revenir sur la SSP, revenir sur la logique de la proposition, sur la prétendue « mutation technologique », sur l’affrontement
capital travail.
On peut ensuite revenir sur l’état d’esprit de la direction de la CGT, le réformisme revendiqué, et la nécessité du retour
à un syndicalisme de classe...