Mardi 17 décembre 2019
Retraites : ce que nous voulons
Dans ce mouvement, on discute beaucoup partout de comment organiser la grève pour faire plier le gouvernement. La critique de la réforme Delevoye est assez claire et complète, dissertée un peu partout dans les moindres détails – et on ne manque pas de surprises… Nous voulons le retrait clair et net de l’ensemble de cette réforme. Au-delà des volets techniques, l’objectif est clair pour le patronat et le gouvernement : nous faire travailler plus vieux, pour des pensions au final plus faibles. Stabiliser la part des retraites dans le budget, alors que le nombre des seniors augmente, c'est à ça que ça revient.
Mais il n'y a pratiquement pas de discussions sur les revendications que nous voulons défendre, et les AG se prêtent difficilement au débat, tant elles sont occupées par l’organisation de la mobilisation. Alors, donnons ici un avis.
On ne va pas être très précis, au risque de décevoir. Avant de pouvoir mobiliser sur des chiffres, il faut donner du sens aux revendications.
Notre boussole sera claire : nous ne parlons pas « en général » des retraites, de l’OS au cadre supérieur, mais nous partons d’un point de vue de classe, du point de vue des ouvrières et ouvriers, prolétaires, travailleuses et travailleurs les plus exploités et les plus malmenés par le travail capitaliste. C’est de là qu’il faut partir pour ne pas se tromper, et ensuite sur cette base caler des revendications susceptibles de rallier les autres couches exploitées.
L’âge de la retraite
Nous ne voulons pas de « la retraite pour les morts », dont parlait déjà Jules Guesde en 1910. Et ce n’est pas parce qu’on vit plus vieux que ça justifie de travailler plus longtemps. Ça, ce n’est valable que pour les politiciens, les cadres supérieurs, les professions intellectuelles etc. pour qui le travail est un épanouissement et un enrichissement.
L’espérance de vie en bonne santé, sans séquelle, est de 59 ans pour un-e ouvrier-e, 10 ans de moins que pour les cadres (voir le tableau). Rien de très étonnant : l’exploitation fatigue, fait souffrir, est pénible comme l’est le capitalisme. Le corps et le cerveau encaissent durement.
Il faut donc que l’âge de la retraite à taux plein prenne en compte cette réalité. Mettons 58 ans, tiens pourquoi pas 57 ans comme les flics dont le régime spécial vient d’être confirmé par le gouvernement ?
Et pourquoi pas un système avec des âges différenciés, comme dans l’URSS de 1928 ? (voir encadré).
La Pénibilité.
Silence radio au delà de la formule. E. Philippe se gargarise du fait que maintenant les fonctionnaires vont avoir le droit à la pénibilité. La belle blague ! Une pénibilité édulcorée, réduite à deux ans maximum, avec des critères dont on a supprimé tous les critères physiques (postures, TMS, port de charges etc.) et les risques chimiques. Une pénibilité individuelle tellement re-négociée depuis dix ans qu’elle n’a plus de sens, validée par des examens de sécurité sociale et des critères d’invalidité…
Nous voulons des critères collectifs et de classe. Par métier (les égoûtiers, les mineurs, les pompiers…), par entreprise, par établissement (industrie, services, éducation…), service ou atelier. Comme pour l’amiante, la reconnaissance d’entreprises et de métiers pénibles qui ouvre les droits à tous les salariés qui y ont travaillé.
Nous voulons, comme pour l’amiante, la reconnaissance d’un tiers-temps pénibilité. La retraite un mois plus tôt pour trois mois travaillé en situation pénible. Il y a dix ans, la FNIC (Chimie) CGT revendiquait un quart-temps pénibilité (un trimestre par année) sur le même principe – voir ci-contre. Ce qui permettrait un départ anticipé autour de 50 ans.
Pourquoi personne ne dit rien de la pénibilité, sinon de répéter parfois le mot sans donner un contenu ? Pour ne pas fâcher ? Pour éviter de se prononcer ? Soyons clairs, une bonne fois : la retraite, sur le fond, c’est la contrepartie de la fatigue, des souffrances et de la pénibilité de l’exploitation capitaliste. Alors, exigeons notre dû !
La Décote ?
Personne n’en parle de ces décotes, dues au manque de trimestres, aux périodes de chômage etc. Nous, nous disons aucune décote. Retraite pour tou-te-s à l’âge légal, sans conditions, pleine et entière. Pourquoi cette revendication « gauchiste » (évidemment …), mais de classe. Parce qu’on ne choisit pas le monde dans lequel on vit, on ne choisit pas d’avoir un travail ou pas, d’être une femme ou pas, d’être sans-papiers ou pas, d’être précaire, chômeur ou dans la merde. Parce que c’est une mesure de justice par rapport à notre vie et notre état de santé à partir de 50 ans. Parce que ça règle d’un seul coup les années incomplètes des femmes, des étudiants, des chômeurs et précaires, des sans-papiers, en affirmant que nous, les travailleurs, les prolétaires, dans ce monde qui n’est pas le nôtre et sur lequel nous n’avons aucune prise, nous ne voulons plus souffrir.
Point barre.
Pour mémoire : Lorsque le système par répartition a été instauré après-guerre, toutes les premières générations sont parties à la retraite avec des carrières incomplètes (évidemment, ça venait de se mettre en place…).
Ah : aucune décote, mais aucune surcote non plus si on continue à travailler après l’âge légal…
Une pension pour vivre et pas pour survivre.
Une retraite minimale au niveau du SMIC qui doit être revalorisé (comme tous les minima sociaux) à un niveau de satisfaction des besoins populaires. Cela devrait être discuté sur la base d’un budget type, pour aboutir à une revendication réellement prise en charge collectivement : 1500€ net ? Plus ? A voir, on ne va pas se crisper sur un montant spécifique, sinon pour souligner que les 1000€ proposés par E. Philippe sont très très loin du compte pour pouvoir vivre décemment.
L’occasion aussi de revendiquer un montant maximum plafonné pour la retraite, mettons trois fois ce SMIC revendiqué, ça fait déjà de quoi vivre, non ?
Enfin, entre le mini et le maxi, pourquoi ne pas s’appuyer sur la situation dans la fonction publique, 75% des six derniers mois, pour revendiquer, pour tous, une retraite complète appuyée sur les six meilleurs mois de toute la carrière, bien sûr toutes primes incluses ?
Nous ne voulons pas de capitalisation.
Année après année, on voit les tentatives d’instaurer des retraites par capitalisation, en construisant les fameux « fonds de pension à la française » souhaités par Jospin (le PS, et oui) dès 1998. Nous voulons qu’on en finisse avec Préfon Retraites pour les fonctionnaires, avec les diverses variantes de Plans Epargne Retraites (PER) encore facilité par la loi PACTE en avril dernier… La capitalisation, c’est le stockage des cotisations, au fil des mois et des ans, pour constituer des sommes astronomiques dont le placement financier va ensuite servir à payer les retraites. C’est le système anglo-saxon, qui évidemment contribue lourdement de manière spéculative à la financiarisation de l’économie (36 000 milliards de dollars étaient détenus par les fonds de pension en 2015 !)
Points ou pas points ?
Le débat a tendance à se polariser sur la question, un peu trop à notre goût. Les représentants de la France Insoumise l’ont répété : le calcul par point n’est qu’un « moyen technique au service d’un objectif comptable ». Parfaitement exact.
De plus, se polariser sur le calcul par points freine de fait l’unité public-privé. Quand on est dans la fonction publique (calcul sur les six derniers mois), l’opposition au calcul par points est claire.
Mais quand on est dans le privé ? La retraite dans le privé, c’est deux sources : 1) la retraite sécurité sociale, 50% de la moyenne des 25 meilleures années, le résultat plafonné à 1714€ au max. 2) la retraite complémentaire (ARRCO AGIRC) qui est déjà une retraite par points. Un exemple : une retraite de 1900€, c’est en gros 1050€ de retraite sécurité sociale, et 850€ de retraite complémentaire.
C’est-à-dire que dans le privé, on pratique déjà la retraite par points depuis des décennies. Ça va être difficile de mobiliser contre… Le système par points ARRCO-AGIRC, c’est dès à présent 18,4 millions de cotisants et 12,6 millions de retraités.
D’un autre côté, il est évident que l’objectif du gouvernement est de généraliser à tous le système ARRCO-AGIRC, qui permet les ajustements budgétaires d’une année à l’autre pour garantir l’équilibre…
Mais au lieu de se polariser sur la méthode de calcul, il faut se concentrer sur les effets, en particulier pour les travailleurs et les secteurs populaires, privé ou public.
Et il faut s’appuyer sur les quelques revendications socles que nous défendons, indépendamment de la manière dont y arrive.
On voit fleurir des plateformes de revendications, un peu partout. Mais jamais d’argumentation, de discussion (la pénibilité est un bon exemple, très peu de gens savent comment en parler).
Il faut se mettre d’accord sur un contenu, c’est le point de départ, un contenu qui fasse l’unité des travailleurs les plus pauvres, les plus précaires, les plus exploités.
C’est le sens ce cette proposition… au moins discutons-en !