Lundi 2 décembre 2019
Appel de Givors pour la protection de la santé au travail et de l'environnement
Nous publions ci-dessous un appel issu d’une rencontre de deux jours qui a eu lieu à Givors les 14 et 15 novembre dernier. Cette rencontre a été organisée à l’initiative de l’association des Anciens Verriers de Givors (dont l’usine a fermé en 2003) qui mène depuis la fermeture un long combat pour la reconnaissance des risques professionnels et environnementaux.
Cet appel mérite publication, même si la tonalité est somme toute très modérée : référence aux recommandations de l’OIT pour une « transition juste » de l’économie, aucune dénonciation du « système » capitaliste et de l’exploitation, simplement la critique des excès d’une société qu’on voudrait améliorer.
C’est donc un texte très réformiste, mais qui soulève des questions de fond, et c’est à ce titre qu’il faut le prendre : il aborde la question de la nature de l’économie et de la production, l’impact sur la santé des travailleurs et l’environnement, la nécessité de remettre les besoins réels au cœur de l’économie.
Trop peu de militants et de syndicalistes prennent ces questions en charge, laissées à des équipes locales motivées, mais trop isolées. La pénibilité a par exemple quasiment disparu du discours de la CGT, et seules quelques structures en parlent encore, alors que ce devrait être le cœur du combat pour la défense des retraites d’aujourd’hui et plus largement du combat anticapitaliste.
Voilà pourquoi, malgré leurs limites, de telles rencontres et appels ont un vrai intérêt : faire vivre une question essentielle, encore trop marginale. Nous reviendrons ultérieurement sur d’autres aspects de ces rencontres de Givors.
Appel de Givors pour la protection de la santé au travail et de l'environnement.
Cet appel est adopté à l'issue du colloque, lors de l'assemblée plénière du 15 novembre 2019.
Les travaux du colloque tenu à Givors les 14 et 15 novembre 2019, sur le thème « Du travail au lieu de vie. Quelles mobilisations contre les risques professionnels et environnementaux ? », ne peuvent rester sans lendemain. Plus d’une centaine de chercheur·e·s, militant·e·s, associations d’habitant·e·s, ancien·ne·s verriers, professionnel·le·s de la santé, se sont réunis au cours de ces deux journées. Si des suites seront données à l’échelle régionale, les présent·e·s souhaitent apporter leur soutien aux luttes actuelles pour la protection de la santé des travailleuses et des travailleurs et pour la protection de l’environnement, qui s’appuient constamment sur des mobilisations pour la construction de connaissances sur les maladies professionnelles et sur les pollutions industrielles.
Le couloir de la chimie rhodanien, comme la région rouennaise marquée par le récent désastre de l’incendie de Lubrizol – voir ICI -, sont des berceaux historiques de l’industrie chimique et pétrochimique. Ces productions génèrent des pollutions qui touchent en premier lieu les travailleuses et les travailleurs de ces secteurs industriels. Ces salari·é·s sont les sentinelles des contaminations environnementales, qui affectent également les populations des territoires voisins. Mais ce rôle de sentinelle ne peut s’exercer que si les salari·é·s disposent d’un statut de travail non-précaire et des ressources nécessaires à la mise en place de structures de vigilance collectives.
Cette vigilance a pu s’exercer, et peut encore parfois s’exercer, par l’implication des salari·é·s dans les Instances représentatives du personnel (IRP). Pourtant, l’affaiblissement de ces IRP contraint les mondes du travail à repenser l’organisation de cette vigilance, en renforçant notamment un dialogue direct et horizontal entre salari·é·s, chercheurs, juristes et professionnels de la santé afin d’identifier, de documenter et de lutter contre les maladies d’origine industrielle, considérées comme des maladies évitables. Depuis plus d’une quinzaine d’années, des dispositifs de recherche-action ont vu le jour dans des départements marqués par les nuisances industrielles et la présence d’une main d’œuvre souvent précaire. Depuis 2002, le Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnels en Seine-Saint-Denis (Giscop93) mène ainsi un travail exemplaire orienté par le triptyque : connaître les activités exposées aux cancérogènes ; reconnaître l’origine professionnelle des cancers en assurant leur indemnisation comme maladies professionnelles ; prévenir les risques cancérogènes au travail. Un autre Giscop vient de naître dans le Vaucluse. Dans le même temps, des initiatives telles que l’Association pour la prise en charge des maladies éliminables, l’Institut éco-citoyen pour la connaissance des pollutions (Fos sur Mer) – voir ICI - ou l'implication de l'association des anciens verriers dans la réalisation du Diagnostic local de santé de Givors, réalisé en 2015 par l'Observatoire régional de santé, participent à la construction de formes de vigilances par les populations exposées aux rejets industriels. Ces initiatives, qui visent à construire la traçabilité de l’origine industrielle de certaines pathologies, restent toutefois constamment menacées. Elles sont subordonnées à l’obtention de subventions éphémères, comme en témoignent les difficultés du Giscop93 aujourd’hui ou celles du Remera l’année passée, alors que la construction de connaissances requiert des financements stables et pérennes.
Ces constats alarmants étaient à l’origine du colloque qui nous a réuni, les 14 et 15 novembre 2019, à l’initiative de l’Association des anciens verriers de Givors. A l’heure des commémorations de la loi de 1919 sur les maladies professionnelles, nous constatons les obstacles constants auxquels doivent se confronter celles et ceux qui entendent faire reconnaître l’origine professionnelle de leurs pathologies. L’effacement des preuves des expositions est l’un de ces freins à la reconnaissance. De même, l’empêchement de la production d’une connaissance scientifique pluraliste autorise, trop souvent, les industriels et les pouvoirs publics à nier l’existence de maladies d’origine professionnelles dans les territoires industriels, ou à affirmer que ces maladies appartiendraient à un passé révolu.
Depuis plusieurs décennies, ce sont des mobilisations d’associations de victimes ou d’équipes syndicales qui, à l’échelle locale, mènent la lutte pour faire reconnaître la toxicité des expositions qui affectent les salarié·e·s, pour permettre la construction de connaissances malgré les obstructions opposées par les industriels, et pour s’engager dans des procédures juridiques souvent longues et éprouvantes pour les malades et leurs proches. Les luttes pour la reconnaissance des maladies liées à l’amiante sont exemplaires de ce point de vue – voir ICI - : ce sont successivement des collectifs d’ouvrières à Clermont-Ferrand, d’ouvriers des chantiers navals à St-Nazaire ou La Ciotat, de scientifiques à Jussieu, d’agents de la fonction publique au Tripode de Nantes, qui ont menés des combats localement avant de se fédérer. Cette pluralité est une force pour les luttes en santé au travail dont le colloque qui nous réunit est un témoignage.
Ces combats se prolongent aujourd’hui, dans des mobilisations où les aspects de santé au travail et d’environnement sont devenus indissociables. Les métiers dits de l’environnement sont les plus exposés aux substances toxiques, ainsi des salariés du recyclage, comme ceux et celles de Environnement Recycling actuellement mobilisés pour faire reconnaître les nuisances auxquelles ils sont exposés – voir ICI -. Ces mobilisations se prolongent aussi dans la lutte pour la construction d’une expertise indépendante sur le nuage toxique consécutif à l’incendie de l’usine Lubrizol en Normandie.
Le désastre survenu à Rouen rappelle la nécessité de protéger la parole des salari·é·s de ces industries à risques. Il nous rappelle que de vastes pans de la réglementation du travail, comme celle sur les installations classées pour la protection de l’environnement, restent inappliqués. Il invite également à souligner qu’une prévention effective des pathologies d’origine industrielle requiert de repenser la production en terme de besoins plutôt qu’en fonction des marchés. Dans la déclaration diffusée cette année à l’occasion de son centenaire, l’Organisation internationale du travail plaide pour une « transition juste » de l’économie, c’est-à-dire la mutation écologique des activités productives dont les travailleuses et les travailleurs doivent être les bénéficiaires. Les participants au colloque de Givors entendent participer à cette transition juste, en contribuant au débat sur l’utilité sociale et la viabilité écologique de la production, condition d’une politique de prévention effective contre les nuisances industrielles.