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6 juillet 2016 3 06 /07 /juillet /2016 08:52

Mardi 5 juillet 2016

L'Union Syndicale de l'Intérim ne connaît pas la précarité (!)

 

L’union Syndicale de l’Intérim vient de publier une petite plaquette (voir ci-contre sous forme numérique), actuellement largement diffusée via les structures de la CGT pour rediffusion aux intérimaires.

Une plaquette de 103 pages (quand même), sous la forme de « Connais tes droits », un travail syndical que beaucoup d’entre nous faisons dans les entreprises, pour rassembler tout ce qu’il faut savoir pour un travailleur d’un secteur donné. A priori une bonne initiative syndicale donc, classique, mais utile.

 

Mais on parle là d’un secteur particulier, l’intérim qui est évidemment une forme bien connue de la précarité (à côté de la sous-traitance, le travail illégal des sans-papiers, les travailleurs détachés, les intermittents, les saisonniers etc.). La précarité qui est ce qu’on peut appeler la gestion à flux tendu de la main d’œuvre par les exploiteurs, au gré des fluctuations de la concurrence et du marché mondialisé. Une « flexibilité externe », via les variations du contrat de travail. Une précarité source d’accidents du travail, de pénibilité, de stress, de salaires partiels et d’une collection de conséquences que l’on enfile comme des perles sur le collier de l’exploitation.

La précarité, tout le monde connaît, en particulier chez les jeunes et les immigrés. Le mot fait peur partout autour de nous, synonyme d’incertitude, d’absence d’avenir, de soucis permanents, de fatigue, de risques au travail, de misère. La précarité, c’est un des volets essentiels de l’attaque des exploiteurs, à côté de la flexibilité des horaires, de l’individualisation. C’est un des volets important de la loi El Khomri, celui qui a fait l’unité entre étudiants et travailleurs, « La précarité c’est pas un métier ! »…

 

Or la plaquette de l’USI ne connaît pas la précarité. A peine une demi-douzaine de références dans tout le texte (103 pages...), le plus souvent très neutres, même l’indemnité de précarité, bien connue de tous les intérimaires, devient la formule patronale « d’indemnité de fin de mission »… Mais aucun exemple précis, sur le taux plus élevé d’accidents du travail, sur la pénibilité accentuée dans ce secteur (le mot n’apparaît même pas…), sur les conséquences de la précarité sur la vie de chacun. Aucun d’exemple, dans le BTP, l’automobile, le nucléaire, la navale, le commerce, aucune référence aux travailleurs sans-papiers et à leurs problèmes spécifiques, alors que l’USI pour le coup a parfois été active pour la régularisation des sans-papiers. Aucune revendication non plus. Cachez cette précarité que je ne saurais voir…

Déjà au 51ème Congrès, le délégué de l’USI avait réussi à faire toute son intervention sans utiliser une seule fois le mot, remarquable, non ??? Nous ne résistons pas au plaisir de vous fournir la vidéo, ci-dessous.

 

 
 

 

On est même très en retrait des positions confédérales, pourtant loin d’être radicales. Il n’y a certes pas de fiche « Précarité » dans les repères revendicatifs, il ne faut pas exagérer, mais il y a de nombreuses références au fil des diverses fiches, en particulier sur la fiche N°7 « Sécurité Sociale Professionnelle ». Notez que ça pose une question de fond : quand on parle ainsi de la précarité, c’est qu’on ne lutte pas pour sa disparition, pour l’embauche des intérimaires, la ré-internalisation de la sous-traitance etc. mais qu’on ne vise que des « droits » pour les précaires, en « solidifiant » quelque part leur statut spécifique de précaire… Mieux que rien, sans doute – mais ça aboutit quand même ni plus ni moins à valider l’existence de la précarité.

 

Et là, pour le coup, on retrouve l’USI et sa plaquette… Car derrière le discours juridique et conventionnel se cache une certaine vision de l’intérim…

Ce qui ressort de la plaquette sur les droits de l’intérimaire, ce n’est pas de lutter contre la précarité, ce n’est pas d’exiger l’interdiction de l’intérim, l’embauche des intérimaires qui sont la chair à canon de la guerre économique, la variable d’ajustement par exemple sur les chaînes automobiles, ou dans les chantiers navals. Non c’est de défendre un « statut » de l’intérimaire, une sorte de statut « normal » (???) à côté des autres statuts, le rendre acceptable et raisonnable. Une Convention Collective de l’Intérim à côté des diverses Conventions Collectives de la Métallurgie, à côté des Conventions Collectives de la Chimie etc. Non pas reconstituer l’unité des travailleurs contre l’exploiteur commun, mais entériner la division sous des statuts différents.

 

L’idée c’est rêver à une sorte d’intérim non précaire et statutaire… ça transpire à toutes les pages !

Et l’on sait que dans la CGT, un des objectifs de l’USI est de se transformer en fédération à l’égale des autres (ce qu’elle n’est pas), ce qui ne manque pas de provoquer des tensions violentes dans la mesure où cela revient ni plus ni moins à entériner la précarité du travail de tout un secteur de la classe ouvrière… Mais comme dans toutes les branches, il y a des planques à occuper, les sous de la formation professionnelle à gérer, n’est-ce pas…

 

Dans le même ordre d’idée, l’USI se gargarise de l’unité entre intérimaires et salariés permanents des sociétés d’intérim qu’elle regroupe (voir l’intervention vidéo). Alors que c’est juste une plaisanterie, chaque intérimaire le sait bien. La différence fondamentale c’est que le salarié permanent n’est pas précaire, et oui ! Et que pour l’intérimaire, le « vrai » patron, le vrai exploiteur, c’est l’entreprise utilisatrice…

A se demander si l’USI n’est pas en fait le cache-sexe des salariés permanents qui trouvent là le biais pour justifier leur bureaucratisation… Mais non, on exagère surement… En fait, il n’y a pas un mot dans la plaquette sur cette question, et on peut comprendre : ça n’a aucun sens pour l’intérimaire, mieux vaut ne pas trop l’ébruiter…

 

Enfin, la plaquette se fait ronflante pour aborder l’histoire de la CGT, sa place dans l’histoire du mouvement ouvrier et la défense des travailleurs. Très bien.

On aurait aimé le même travail d’histoire sur l’histoire de l’intérim, justement. Cette forme de précarité apparue à la fin des années 60, début des années 70 avec la crise, validée historiquement par un accord entre la CGT et Manpower en 1969 qui servira de point d’appui légal à la généralisation de l’intérim. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est la PDG de Manpower, nous l’avons déjà citée sur ce blog.

L’intérim a explosé dans les années 80, comme la sous-traitance explosera ensuite dans les années 90, avec comme objectif pour les capitalistes de gagner, via la précarité, la flexibilité nécessaire de la main d’œuvre face aux vagues de restructurations qui se succèdent dans tous les secteurs, comme conséquence de la crise mondialisée.

 

Bien sûr le combat pour l’égalité des droits est juste, comme pour la sous-traitance, c’est bien le moins !

Mais le cœur du combat doit être pour l’embauche des intérimaires, pour l’interdiction de l’intérim. Faute de quoi revendiquer de manière floue « un vrai statut » (voir affiche ci-contre) reste plus qu’ambigu et prête à interprétation comme quoi on ne défend en fait qu’une « précarité digne et humaine »…

 

 

Tous les articles de ce blog sur la sous-traitance, la précarité, l’intérim, le dumping social… ICI

 

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commentaires

A
Bonjour "Arno"<br /> Merci pour ces commentaires que je ne partage pas. Trop facile de "cracher" dans la soupe lorsque l'on sait que vous avez profité "largement" et "grassement" de tout ce que vous dénoncez pendant plusieurs années. Il est vrai que la "chute" a du être rude pour vous...
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A
Très bon article qui relate assez bien la position de certains syndicats ouvriers dans l'interim <br /> Mais malheureusement c'est encore pire quand on descend dans les syndicats adhérents à l'USI<br /> Exemple Manpower finance la Cgt Manpower a hauteur de 500000 euros annuels environ (dotation- heures- salaires des représentants de la cgt) et un beau localde 400m2 dans l immeuble du melies juste à côté de la conf de Montreuil....
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X
Les boites d’intérim sont des marchands de viande. <br /> Initialement l’intérim s’est développé sur l’illusion d’une « liberté » envers l’employeur : je débauche quand je veux, je ne travaille quand que j’en ai envie, etc. Ceci était peut-être réalisable il y a trente ans mais c’est fini. <br /> C’est l’employeur qui jette ses intérimaires dès qu’il n’en a plus besoin.<br /> Des entreprises conservent leurs intérimaire en permanence et les dégage dès qu’un problème apparaît, de sorte que l’intérimaire n’a aucune sécurité et qu’il n’est plus certain de retrouver une mission.<br /> <br /> Des rapports syndicaux corrects consistent à réclamer leur embauche et à les faire participer aux débrayages et aux grèves.
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