Jeudi 25 février 2016
Projet El Khomri, négociations UNEDIC : nouvelle attaque
Nous annoncions dans un article précédent (« Nous étions plus de 20 000 rassemblés le 4 février ») que la prison contre les travailleurs d’Air France et contre les délégués CGT de Goodyear illustraient une répression aggravée contre les travailleurs, qu’elle anticipait une nouvelle attaque directe pour répondre aux exigences du capital dans la crise, et bien voilà, ça n’a pas traîné.
Avec son projet de loi, El Khomri s’est faite la porte-flingue de Hollande-Valls pour un retour en arrière qui fait pleurer de joie les dirigeants du MEDEF (qui n’en attendaient certainement pas tant).
Le projet de loi
Nous n’allons pas détailler ici le détail du projet, d’autres s’en sont très bien chargés, et chaque jour il en apparaît d’autres, comme celui d’InfoCom’ publié aujourd’hui). Les lecteurs trouveront donc ci-contre le long article des Echos qui révélait le projet, une analyse carrément bien faite dans un quatre pages de l’UGICT-CGT, et un article du Monde qui montre d’où sortent ces projets.
Nous allons nous contenter d’en relever les quatre grands thèmes
Horaires assouplis, flexibilité renforcée
Possibilité de pousser les horaires de travail jusqu’à 60h par semaine, diminution de l’indemnisation des heures supplémentaires, possibilité de moduler les horaires jusqu’à trois ans, ils peuvent garder l’étiquette des 35 heures, ce n’est plus que de la fumée !
Chacun au travail sait que les attaques sur le sujet sont quotidiennes, sournoises, apparemment anodines, comme la modification d’un cycle de travail posté, l’instauration du pointage en bleus (comme à Airbus), la suppression du temps de transmission entre collègues (comme dans la Santé), le badgeage sur le poste de travail (comme dans les Assurances), et qu’à chaque fois ce sont quelques minutes, qui, accumulées sur l’année font des jours et des semaines…
Travailler plus pour plus de stress, plus de fatigue, moins de temps libre. Au final, plus de productivité, et en plus la flexibilité renforcée vient en parallèle avec la réduction des effectifs…
Licenciements facilités, précarité généralisée
Les documents ci-joint expliquent la méthode, du flou accru sur les motifs économiques, à la réduction des indemnités prud’hommes, en passant par le licenciement personnel pour un travailleur qui refuse la dégradation des conditions de travail suite à un accord d’entreprise…
Les commentateurs l’ont souligné : l’enjeu se situe essentiellement pour les travailleurs ayant entre 2 et cinq ans d’ancienneté… Comme le soulignait un représentant des jeunes, après la précarité pendant les études, après la précarité pour trouver un premier boulot, c’est maintenant la précarité à vie qu’on met en place… Le combat du CPE revient d’actualité !
Le sens de l’inversion des normes (à droite évidemment !)
Jusqu’à présent, le droit du travail était régit du général au particulier : le Code du Travail l’emporte sur la Convention Collective, qui l’emporte sur l’accord d’entreprise, qui l’emporte sur les particularités des contrats individuels. Autrement dit, les avantages et acquis ne peuvent aller qu’en s’améliorant…
C’était le cas malgré des aberrations comme les minis salariaux de certaines conventions inférieures au SMIC, ou les indemnités de licenciements de certaines conventions inférieures à celles prévues dans le Code du Travail (Salariés du Particulier employeur par exemple). C’était toujours le cas le plus favorable qui s’appliquait.
La nouvelle loi inverse en gros la logique des normes : un accord d’entreprise pourra déroger aux Conventions Collectives ou au Code du Travail… en proposant des modalités moins favorables bien sûr !!
Et voilà déjà la CGPME qui demande la possibilité de signer des accords d’entreprise avec les délégués de la DUP là où il n’y a pas de syndicat, ben oui, quoi, pourquoi se gêner et s’arrêter en si bon chemin !
C’est cela la destruction du Code du Travail, non pas le faire disparaître en tant que tel, mais le rendre inopérant et inutile, le « décentraliser » au niveau de chaque entreprise !
La duperie des référendums d’entreprise
La démocratie bourgeoise n’est que la mystification de la dictature de l’exploitation. Alors quand on voit le gouvernement et le MEDEF vanter les mérites de la « démocratie », au départ on se méfie.
De l’autre côté, les bureaucraties syndicales défendent mordicus le « dialogue social » et la « représentativité syndicale », en gros leur droit à discuter et à signer entre gens responsables (même si c’est parfois de manière un peu vive), pour décider à notre place et sans nous demander notre avis de ce qui est bon pour nous…
Mais les exploiteurs en veulent encore plus, ils veulent se débarrasser des gêneurs si nécessaire, ils veulent faciliter les accords dérogatoires, tous les reculs possibles et donc ils veulent contourner les syndicats avec les référendums (ils n’ont pas aimé par exemple le refus de l’ouverture du dimanche à la FNAC !). Ah, c’est démocratique comme ça, on affirme que c’est tout le personnel qui décide de son sort !
A Continental, à Goodyear, à Smart, ils ont fait voter les cadres pour faire passer les équipes ou le rallongement du temps de travail, on connaît la manœuvre. Ils ont expérimenté dans plusieurs endroits, et maintenant ils veulent généraliser le procédé en l’inscrivant dans la loi !
Demandons donc aux directions d’organiser un référendum pour limiter les hauts salaires et les bonus, pour des congés supplémentaires, l’embauche des intérimaires ou l’arrêt des équipes la nuit, on verra alors ce qu’il en est vraiment de leur démocratie !
La démocratie des travailleurs, nous sommes pour. Pour l’expression des exploités, de ceux pour qui les mesures ont le plus de conséquences sur leur vie. Nous sommes contre le vote des cadres et de la maîtrise, contre le vote des représentants de la direction, contre l’organisation, par celle-ci et dans les termes qu’elle veut, de consultations qui seront manipulées comme cela l’arrange.
Sachant que si le résultat est négatif, et bien on s’assoira dessus, comme en 2005 pour le traité sur l’Europe. Ou on fera revoter, cela s’est vu dans des entreprises…
Mais nous sommes favorables à des consultations organisées par les syndicats de classe, pour avoir l’avis du personnel concerné, et ensuite sur cette base décider de la position syndicale. Soit en respectant le choix du personnel (quand les enjeux ne remettent pas en cause des fondements, c’est le cas par exemple pour des accords d’intéressement, bâtons de merde par excellence) soit pour refuser au final (sur les sujets fondamentaux), en expliquant alors éventuellement le décalage (s’il y en a un) entre le résultat du vote et la position syndicale, en toute clarté.
Face aux référendums de la direction, il n’y a qu’une attitude possible : le refus d’y participer. Quitte à organiser notre propre consultation en parallèle, dans nos termes à nous…
Les réformistes syndicaux sont contre ces votes car ils veulent préserver leurs mandats et leur place de spécialistes en « dialogue social ». Nous ne mangeons pas de ce pain.
Nous sommes contre ces référendums car ce ne sont que des manœuvres pour valider des régressions sociales.
Mais nous sommes favorables à la consultation par le syndicat, selon nos propres règles, après explications contradictoires, pour avoir l’avis de l’ensemble des travailleurs exploités (et de eux seuls !).
Un projet en arrière toute !
On le voit, des reculs très graves, directement inspirés par le MEDEF et la droite, comme le souligne perfidement l’article du Monde reproduit ci-dessus…
A tel point que même au sein du PS cela fait des vagues, voire la grosse colère de Martine Aubry, rassurez-vous, elle va se calmer, ça n’ira pas bien loin…
La réforme de l’UNEDIC
Il n’est pas possible de passer sous silence ce qui s’annonce comme une nouvelle attaque sur un autre front, celui des chômeurs et précaires.
Le 22 février a débuté une nouvelle séquence de négociations du régime de l’UNEDIC.
Avec au menu et dans le collimateur les régimes spéciaux (intermittents et intérim) et le retour à la dégressivité des allocations, abandonnée en 2001 car absolument inefficace…
Bien sûr, si le projet El Khomri passe, le nombre des chômeurs va augmenter, il n’y a que les niais et les quiches pour imaginer le contraire : « Alors, pour augmenter l’emploi, il faut faciliter les licenciements ? », la bonne blague – enfin histoire de dire.
D’où la relation directe entre les deux volets de l’attaque à venir, précarité et chômage en alternance pour tous ! Nous y reviendrons.
Les réactions
Colère et stupéfaction, évidemment, partout. Incrédulité car il y a encore beaucoup d’illusions sur le PS au gouvernement…
Plus de 500 000 signatures pour une pétition en moins d’une semaine ce n’est peut-être pas une mobilisation, mais en tous le cas le signe d’une grosse colère.
L’ambiance est chaude dans les ateliers, les labos et les services autour de nous. S’il y avait eu cette semaine une mobilisation rapide, on était sûrs de voir des millions de personnes dans la rue, ça aurait été quelque chose.
Au lieu de cela, un communiqué intersyndical calamiteux, honteux, il n’y a pas d’autre mot (d'ailleurs on le mettra même pas sur ce blog...).
Juste une petite phrase pour demander le retrait du plafonnement des indemnités prud’hommes, alors que c’est absolument marginal dans le projet, et une référence vague aux « mesures qui accroissent le pouvoir unilatéral des employeurs »… Ah, ah… il y aurait donc un pouvoir « équitable » ???
« Retenez-moi ou je fais un malheur !! » Pas un mot bien sûr pour le retrait pur et simple du projet, un alignement au minimum pour préserver l’unité à tout prix, quitte à perdre tout sens et toute crédibilité…
Il est prévu une nouvelle rencontre le 3, des appels pour le 9 (par exemple à Marseille, Bourges, Toulouse...), jour d’examen du projet de loi, et probablement une mobilisation le 31 mars si l’on en croit la note aux organisations de la Conf’ (voir ci-contre). Dans un mois quoi, histoire de laisser la mobilisation se dégonfler et le repli s’installer à nouveau… Il est urgent d’attendre, apparemment !
Echéance suivante, on imagine après le congrès confédéral mi-avril, tiens le 1er mai, et après rendez-vous en octobre ? On a déjà donné !
Minable les syndicats. Minable la CGT et Martinez, on a honte pour vous.
Quoiqu’il en soit, l’heure est à la mobilisation pour préparer le terrain à une riposte qui viendra tôt ou tard, même de manière édulcorée, le projet suscite trop de réactions hostiles !
Mais n’attendons pas les échéances gouvernementales ou législatives. Chaque fois que possible participons aux initiatives locales (comme celle de Marseille qui a tendance à faire tâche d’huile, voir ci-contre), faisons le lien avec l’Etat d’Urgence, la chasse et la répression des syndicalistes, les attaques contre les chômeurs…
Le capitalisme français cherche à regagner sa compétitivité dans la guerre économique mondialisée, face à ses concurrents, sur notre dos ! L’heure est à la résistance, organisons-la, maintenant !