Jeudi 4 décembre 2014
Affaires Lepaon : mais où va la CGT ?
Dans le dernier article de ce blog (« 120m2 à Vincennes, avec vue sur le MEDEF ? »), nous expliquions qui était Thierry Lepaon et ce qu’il représentait : « L’aristocrate ouvrier, c’est le lieutenant ouvrier du capital, celui qui singe ses maîtres, prend ses goûts, perd ses repères de classe » et nous renvoyons nos lecteurs à cet article qui reste parfaitement d’actualité.
La nouvelle affaire dite de la « rupture conventionnelle » est infiniment plus grave, car il s’agit désormais d’enrichissement personnel et non plus de logement de fonction… Les Echos (souvent très bien informés – par qui ? – de ce qui se passe à la CGT, voir ICI) parlent d’un chèque de 100 000 à 200 000 €, mais comme par hasard Thierry Lepaon « ne se souvient pas » du montant, une « petite somme » puisqu’il n’est resté que quatre ou cinq ans au Comité Régional de Basse Normandie… 100 000 € c’est en gros 4 ans de salaire à 2000€ ! Le Monde parle de 31 000 €, c'est moins mais quand même ! Petite somme, qu’il disait… Et en plus, à lire les Echos, ce n’est même pas une rupture conventionnelle officielle mais un simple chèque à l’amiable, et en plus on ne sait même pas trop d’où sort ce chèque…
C’est consternant, calamiteux, effrayant.
Ne parlons même pas de l’image que cela donne de la CGT, désormais assimilée aux patrons et politiciens pourris. Il a fallu 8 pages à Thierry Lepaon pour tenter de s’expliquer au CCN de début novembre (voir ci-contre), il va faire comment à la CE de mardi prochain ?
La CE Confédérale du 9 décembre n’aura donc pas à traiter que de la loi Macron présentée le lendemain au conseil des ministres, elle devra clarifier la situation et l’on parle maintenant purement et simplement de débarquer le secrétaire confédéral, désormais complètement désavoué, aux yeux des syndiqués d’abord, des salariés, chômeurs, précaires, exploités avec ou sans papiers…
Compte tenu de la catastrophe dans laquelle nous sommes plongés, ce serait le moins pire, plutôt que de traîner encore deux ans ce boulet corrompu…
« Serrer les coudes, identifier l’origine politique des attaques, faire front » clamait-il dans son courrier pour escamoter comme d’habitude la critique, mais là c’est bien d’enrichissement personnel que l’on parle…
Thierry Lepaon n’est pas seul dans son cas
Ah, c’est vrai, les secrétaires généraux précédents n’étaient pas comme ça. Issus du public (Séguy, Viannet ou Thibault) ou du privé (Frachon ou Krasucki) ils portaient une tradition en quelque sorte exemplaire aux yeux de la masse des travailleurs. En ce sens, Thierry Lepaon est une grave « erreur de casting ».
Mais l’éviction probable de ce mouton noir ne doit pas nous voiler la face. Dans les structures intermédiaires de la CGT, ces aristocrates et bureaucrates corrompus sont pléthore – et en ce sens Lepaon représente une certaine couche sociale. Dans les Conseils Economiques et sociaux, la Mutualité, la gestion de la Sécu, de la formation professionnelle, les CCAS etc. ils fleurissent et se sont même considérablement multipliés avec les lois de décentralisation qui ont multiplié les structures paritaires. La dérive politique de la CGT qui n’a plus de projet différent de la simple gestion du capitalisme – version humanisé (le « développement humain durable » ça ne vous rappelle rien ?) n’a pas arrangé les choses.
Thierry Lepaon va dégager, tôt ou tard, et on ne va pas le pleurer. Et nous allons avoir le droit au discours sur le retour de la moralité, la transparence etc. dans la confédération. Quelle blague !
Thierry Lepaon n’est que la caricature d’une couche sociale, de la bureaucratie syndicale qui infeste notre syndicat à tous les étages, du bureau confédéral à la simple gestion des CE d’entreprise…
Les patrons le savent bien : ils adorent laisser quelques miettes (enfin, des gros quignons, il y a des CE c’est des centaines de milliers d’euros !) à gérer aux syndicalistes réformistes, il n’y a pas de meilleure école à la gestion du capitalisme, n'est-ce pas ?
Il faut revenir au syndicalisme de classe, anti-capitaliste, refuser toute gestion, toute compromission qui nous englue dans les règles du jeu de nous exploiteurs, sortir de tous les organismes de gestion paritaire. C’est ça qu’il faut changer à la CGT, d’abord et avant tout ! C’est cela qu’il faut débattre, sur le fond !
Les conflits dans la confédération
Bien sûr tout le monde cherche qui a dégommé Thierry Lepaon, en plus à la veille des élections dans la fonction publique, certainement pas un hasard : effet de levier garanti !
La presse (voir l’article du Monde qui résume le conflit « L’offensive contre Thierry Lepaon prend de l’ampleur ») pointe du doigt les quatre membres du Bureau Confédéral qui ont refusé de faire allégeance à Thierry Lepaon : Eric Aubin (Construction), Mohammed Oussedik (Verre) Valérie Lesage (UD 77) et Sophie Binet (UGICT). Un quatuor de techniciens modernes qui illustrent la montée en puissance de la petite-bourgeoisie salariée dans la confédération, de syndicalistes qui font carrière dans le syndicat (leur carrière professionnelle n’est pas très longue…) et qui ont des ambitions. Eric Aubin et Mohamed Oussedik ambitionnaient, de manière différente à prendre la suite de Bernard Thibault. On sait que la proximité d’Oussedik du PS a éliminé l’hypothèse. On sait qu’Eric Aubin a les dents longues et une ambition dévorante depuis qu’il est devenu Mr Retraites de la Confédération. Et il se sent un peu dans le collimateur, pour se démarquer explicitement de Thierry Lepaon dans un courrier aux syndiqués à l’issue du CCN (voir ci-contre).
Mais tout ceci n’est que clapotis dans le marigot des ambitions.
Le fond de l’histoire qui secoue la Confédération, c’est le rapport au gouvernement et au PS. Non pas qu’il y ait fondamentalement des projets différents entre les divers dirigeants confédéraux, tous partagent les mêmes idées de développement humain durable et le projet de capitalisme social. La perspective de lutte de classe a disparu, sans même parler d’abolition du capitalisme qui n’est plus qu’une référence historique lointaine et sans enjeu à ce niveau du syndicat.
Un secteur confédéral est pour une attitude prudente et pragmatique à l’égard du gouvernement, conflictuelle certes, mais pas trop pour ne pas couper les ponts. Favorable à valider quelques accords (celui sur la formation professionnelle, ou sur le dialogue social – voir à ce propos un autre article avec la déclaration du secrétaire de l’UD du Cher). C’est l’orientation de Thierry Lepaon et d’une partie de la direction confédérale.
Et il y a ceux qui sentent la colère de la base, que ça ne va pas et que le syndicat risque de décrocher. Ceux qui veulent se démarquer à tout prix de Hollande/Macron/Rebsamen. Ceux qui ont participé aux mobilisations du Front de Gauche du 12 avril et du 15 novembre. Ceux-là gagnent de l’influence à chaque mesure gouvernementale, à chaque sortie de Valls ou de Macron, à chaque nouveau plan d’austérité et de milliards au patronat. On a ainsi vu la Chimie, les Territoriaux, l’Ile de France et bien d’autres.
Thierry Lepaon nous a bien amusés quand il a parlé d’une offensive d’infiltration du Parti de Gauche dans la CGT !!! N’importe quoi… c’est juste que le courant radical anti-PS et anti-gouvernement se renforce jour après jour.
Reste à apprécier la nature de cette opposition : opposition au gouvernement ? C’est clair, et c’est une bonne chose. Sur une base de défense des intérêts des travailleurs ? C’est beaucoup moins clair, parce que sur tous les sujets importants, précarité et sous-traitance, pénibilité et souffrance au travail, mondialisation et internationalisme, défense de l’emploi, la CGT n’est présente que dans les initiatives locales ou partielles, mais totalement silencieuse au sommet…
Il reste une fracture et une grande confusion, qui laisse un espace aux syndicalistes de classe. Mais force est de constater que la confusion a fait ses ravages partout, y compris dans cette dite opposition bien absente depuis le 49ème Congrès et la candidature Delannoy contre Bernard Thibault…